Aller au contenu

Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Jean-Jacques exaspèrent, les âmes innocentes que ses Confessions scandalisent, en un mot tous ses ennemis — et ils sont légion — auront beau jeu, en apparence, pour dénier à son génie la puissance originale et créatrice. Nous osons dire que ces conclusions nous sembleraient injustes et injustifiées. L’argument ne porte pas, car s’il était admis, il porterait trop ; et ce n’est pas Rousseau seulement, ce sont les plus grands penseurs de tous les temps qui en seraient atteints. Le communisme est une doctrine chère aux écrivains et la distinction odieuse du tien et du mien leur est inconnue. Nous ne parlons ni de Molière ni de Shakespeare. Mais le travail que j’ai esquisse pour le Contrat social, on pourrait le faire pour l’Esprit des lois avec des résultats analogues. Tous les jurisconsultes qui ont écrit sur le Droit naturel au XVIIe siècle, et où Rousseau a puisé le germe de beaucoup d’idées, se copient les uns les autres. Grotius est le copiste par excellence, tout emprunt lui est bon. Pufendorf copie Grotius sans toujours le citer, et Burlamaqui copie Locke et Pufendorf. Locke aussi, à l’exemple de Bossuet, met à contribution les anciens et les modernes, le sacre et le profane. Hobbes, lui-même, quoique bien plus original, prend son bien où il le trouve. Machiavel en fait autant. Platon n’a pas davantage découvert la théorie de la politique. Le catalogue serait long à établir des auteurs qui en ont traité. Naudé et d’autres l’ont entrepris, mais avec peu de succès. Depuis le temps qu’on pense et qu’on écrit, toutes les idées ont été émises et publiées. Par la force des choses, tous les écrivains composent avec leurs réminiscences et sont des plagiaires sans le savoir. Il n’en est pas moins vrai que certaines œuvres sont originales et que d’autres ne le sont pas. L’Esprit des lois et le Contrat social sont des livres originaux. On n’invente pas les lettres de l’alphabet ; on n’invente pas les mots qui en sont formés ; on n’invente pas les idées ni encore moins les sujets qui les font naître ; mais il y a une façon de choisir ces idées, de les associer, de les exprimer, même, qui est une sorte de création ; l’importance relative que l’on donne a chacune d’elles, l’ordre dans lequel on les présente, les conclusions que l’on tire de leur rapprochement, ce n’est pas seulement de l’art, c’est de l’invention. Quand ce travail est fait de génie, il se forme de ces assemblages divers autant d’œuvres