Page:Rousseau - Du contrat social éd. Dreyfus-Brisac.djvu/74

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peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?

Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimatias inexplicable. Car, sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause : toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément, on le peut légitimement ; et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. Or, qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? S’il faut obéir par force, on n’a pas besoin d’obéir par devoir ; et si l’on n’est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.

Obéissez aux puissances[1]. Si cela veut dire : Cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu ; je réponds qu’il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue[2] ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler le médecin ? Qu’un brigand me surprenne au coin d’un bois : non seulement il faut par force donner la bourse, mais, quand je pourrais la soustraire, suis-je, en conscience, obligé de la donner ? car enfin le pistolet qu’il tient est aussi une puissance.

  1. R. Lettre à M. de Beaumont. — Si le traité du Contrat social n’existait pas, et qu’il fallut prouver de nouveau les grandes vérités que j’y développe, les compliments que vous faites à mes dépens aux puissances seraient un des faits que je citerais en preuve ; et le sort de l’auteur en serait un autre encore plus frappant.
  2. Bossuet, 5e Avertissement aux protestants sur les lettres du ministre Jurieu. — Dieu qui est le père et le protecteur de la société humaine, qui a ordonné les rois pour la maintenir, qui les a appelés ses christs, qui les a faits ses lieutenants et qui leur a mis l’épée en main pour exercer sa justice, a bien voulu, à la vérité, que la religion fut indépendante de leur puissance et s’établit dans leurs États malgré les efforts qu’ils feraient pour la détruire ; mais il a voulu en même temps que, bien loin de troubler le repos de leurs empires ou d’affaiblir leur autorité, elle la rendit plus inviolable et montrât par la patience qu’elle inspirait à ses défenseurs, que l’obéissance qu’on leur doit est à toute épreuve.