Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/123

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politesse dans les manières ne serait qu’un raffinement de l’amour-propre pour voiler les faiblesses, ne serait-ce pas encore un avantage pour la société, que le vicieux n’osât s’y montrer tel qu’il est, et qu’il fût forcé d’emprunter les livrées de la bienséance et de la modestie ? On l’a dit, et il est vrai ; l’hypocrisie, tout odieuse qu’elle est en elle-même, est pourtant un hommage que le vice rend à la vertu ; elle garantit du moins les âmes faibles de la contagion du mauvais exemple.

Mais c’est mal connaître les savants, que de s’en prendre à eux du crédit qu’a dans le monde cette prétendue politesse qu’on taxe de dissimulation : on peut être poli sans être dissimulé ; on peut assurément être l’un et l’autre sans être bien savant ; et plus communément encore on peut être bien savant sans être fort poli.

L’amour de la solitude, le goût des livres, le peu d’envie de paraître dans ce qu’on appelle le beau monde ; le peu de disposition à s’y présenter avec grâce ; le peu d’espoir d’y plaire, d’y briller ; l’ennui inséparable des conversations frivoles et presque insupportables pour des esprits accoutumés à penser : tout concourt à rendre les belles compagnies aussi étrangères pour le savant, qu’il est lui-même étranger pour elles. Quelle figure ferait-il dans les cercles ? Voyez-le avec son air rêveur, ses fréquentes distractions, son esprit occupé, ses expressions étudiées, ses discours sentencieux, son ignorance profonde des modes les plus reçues et des usages les plus communs ; bientôt par le ridi-