Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/149

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ces livres savants qui ne savent ni me convaincre ni me toucher. Prosternez-vous aux pieds de ce Dieu de miséricorde que vous vous chargez de me faire connaître et aimer ; demandez-lui pour vous cette humilité profonde que vous devez me prêcher. N’étalez point à mes yeux cette science orgueilleuse ni ce faste indécent qui vous déshonorent et qui me révoltent ; soyez touchés vous-mêmes, si vous voulez que je le sois ; et surtout montrez-moi dans votre conduite la pratique de cette loi dont vous prétendez m’instruire. Vous n’avez pas besoin d’en savoir ni de m’en enseigner davantage, et votre ministère est accompli. Il n’est point en tout cela question de belles-lettres, ni de philosophie. C’est ainsi qu’il convient de suivre et de prêcher l’Évangile, et c’est ainsi que ses premiers défenseurs l’ont fait triompher de toutes les nations, non aristotelico more, disaient les pères de l’Église, sed piscatorio[1].

Je sens que je deviens long ; mais j’ai cru ne pouvoir me dispenser de m’étendre un peu sur un point de l’importance de celui-ci. De plus, les lecteurs

  1. « Nostre foy, dit Montaigne, ce n’est pas nostre acquest ; c’est un pur présent de la libéralité d’aultruy : ce n’est pas par discours ou par nostre entendement que nous avons receu nostre religion ; c’est par auctorité et par commandement estrangier : la foiblesse de nostre iugement nous y ayde plus que la force, et nostre aveuglement plus que nostre clairvoyance ; c’est par l’entremise de nostre ignorance, plus que de nostre science, que nous sommes sçavants de ce divin sçavoir. Ce n’est pas merveille si nos moyens naturels et terrestres ne peuvent concevoir cette cognoissance supernaturelle et céleste : apportons y seulement, du nostre, l’obéissance et la subiection ; car, comme il est escript : Ie destruiray la sapience des sages, et abbattray la prudence des prudents. » (Liv. ii, chap. 12.)