Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/67

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tracé dans leurs objets. Que ferions-nous des arts, sans le luxe qui les nourrit ? Sans les injustices des hommes, à quoi servirait la jurisprudence ? Que deviendrait l’histoire, s’il n’y avait ni tyrans, ni guerres, ni conspirateurs ? Qui voudrait, en un mot, passer sa vie à de stériles contemplations, si chacun, ne consultant que les devoirs de l’homme et les besoins de la nature, n’avait de temps que pour la patrie, pour les malheureux, et pour ses amis ? Sommes-nous donc faits pour mourir attachés sur les bords du puits où la vérité s’est retirée ? Cette seule réflexion devrait rebuter dès les premiers pas tout homme qui chercherait sérieusement à s’instruire par l’étude de la philosophie.

Que de dangers, que de fausses routes, dans l’investigation des sciences ? Par combien d’erreurs, mille fois plus dangereuses que la vérité n’est utile, ne faut-il point passer pour arriver à elle ? Le désavantage est visible : car le faux est susceptible d’une infinité de combinaisons ; mais la vérité n’a qu’une manière d’être. Qui est-ce d’ailleurs qui la cherche bien sincèrement ? Même avec la meilleure volonté à quelles marques est-on sûr de la reconnaître ? Dans cette foule de sentiments différents, quel sera notre critérium pour en bien juger[1] ? Et, ce qui est le plus difficile, si par bon-

  1. Moins on sait, plus on croit savoir. Les péripatéticiens doutaient-ils de rien ? Descartes n’a-t-il pas construit l’univers avec des cubes et des tourbillons ? Et y a-t-il aujourd’hui même en Europe si mince physicien qui n’explique hardiment ce profond mystère de l’électricité qui fera peut-être à jamais le désespoir des vrais philosophes ?