Page:Rousseau - Philosophie, 1823.djvu/72

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rans de leur liberté[1] ; où, l’un des sexes n’osant approuver que ce qui est proportionné à la pusillanimité de l’autre, on laisse tomber des chefs-d’œuvre de poésie dramatique, et des prodiges d’harmonie sont rebutés ? Ce qu’il fera, messieurs ? il rabaissera son génie au niveau de son siècle, et aimera mieux composer des ouvrages communs qu’on admire pendant sa vie, que des merveilles qu’on n’admirerait que long-temps après sa mort. Dites-nous, célèbre Arouet, combien vous avez sacrifié de beautés mâles et fortes à notre fausse délicatesse ! et combien l’esprit de la galanterie, si fertile en petites choses, vous en a coûté de grandes !

C’est ainsi que la dissolution des mœurs, suite nécessaire du luxe, entraîne à son tour la corruption du goût. Que si par hasard, entre les hommes extraordinaires par leurs talents, il s’en trouve quelqu’un qui ait de la fermeté dans l’âme et qui refuse de se prêter au génie de son siècle et de s’avilir par des productions puériles, malheur à lui ! Il mourra dans l’indigence et dans l’oubli. Que n’est-ce ici un pronostic que je fais, et non une

  1. Je suis bien éloigné de penser que cet ascendant des femmes soit un mal en soi. C’est un présent que leur a fait la nature, pour le bonheur du genre humain ; mieux dirigé, il pourrait produire autant de bien qu’il fait de mal aujourd’hui. On ne sent point assez quels avantages naîtraient dans la société d’une meilleure éducation donnée à cette moitié du genre humain qui gouverne l’autre. Les hommes seront toujours ce qu’il plaira aux femmes : si vous voulez donc qu’ils deviennent grands et vertueux, apprenez aux femmes ce que c’est que grandeur d’âme et vertu. Les réflexions que ce sujet fournit, et que Platon a faites autrefois, mériteraient fort d’être mieux développées par une plume digne d’écrire d’après un tel maître, et de défendre une si grande cause.