Page:Roussel - Impressions d Afrique (1910).djvu/291

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avec le patient dans certain remous déterminé, Bachkou, employant son baume, décollait facilement les deux taies, qui suivaient aussitôt le courant jusqu’à la pleine mer, où leur terrible contamination n’était plus à craindre. Beaucoup de malades, après l’opération, recouvraient aussitôt la vue ; mais d’autres, moins favorisés, restaient aveugles pour jamais, à cause d’une trop grande extension du mal, qui peu à peu avait envahi le globe oculaire tout entier.

Rul connaissait le caractère contagieux des taies. Un soir, trompant la surveillance des gardiens d’esclaves répandus dans le Béhuliphruen, elle atteignit le bord de la mer et parvint à l’aide d’une pirogue jusqu’à l’embouchure du Tez. Elle savait que Bachkou opérait toujours à la tombée de la nuit, pour réserver aux sujets récemment guéris une pénombre douce et reposante. Protégée par le sombre voile crépusculaire, elle guetta sans être découverte l’arrivée des taies extraites par le sorcier, en prit une au passage à la sortie du courant, puis regagna le rivage à son point d’embarquement.

Au milieu de la nuit, elle pénétra sans bruit chez Sirdah, dont la case touchait celle de l’empereur ; puis, s’avançant avec précaution, guidée par la clarté d’un rayon de lune, elle frotta doucement les cils de sa fille endormie avec la dangereuse taie serrée entre deux doigts.