Page:Routhier - À travers l'Europe, impressions et paysages, Vol 1, 1881.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
390
PARIS

Lorsque la Révolution voulut faire l’égalité, elle résolut d’abattre toutes les têtes qui dépassaient les autres, et elle pensa que ce nivellement sanglant suffirait. Mais à peine les têtes de Louis XVI et de quelques nobles étaient-elles tombées qu’il en surgit d’autres, sortant du peuple. Elle décida de les couper : Vergniaud et les autres Girondins moururent. Mais aussitôt elle s’aperçut que les têtes des Hébertistes dépassaient le niveau commun : celles-ci tombèrent encore ; et dans le moment de silence et de stupeur qui suivit, la Révolution pensa : enfin, j’ai fait l’égalité. Mais l’instant d’après, Danton, Camille Desmoulins et leurs partisans s’élevaient au-dessus de la foule. Il fallut les abattre ; et après eux, Robespierre et Saint Just ; et pendant longtemps la guillotine faucha les têtes, et se promena sur la France pour produire l’égalité, jusqu’à ce qu’un homme providentiel, se dressant au-dessus de la nation, prit l’échafaud, le transforma en plafond d’airain, le posa sur les têtes et monta dessus.

Enfin, l’égalité était donc faite, sauf pour un seul homme, chargé de la maintenir ? Eh ! bien, non ; cet empereur qui avait remplacé les rois, ce demi-dieu qui avait remplacé Dieu dont la France ne voulait plus, prit ses frères et il en fit des rois, il prit ses soldats et il en fit des princes, il prit ses valets et il en fit des ducs ! Et c’est ainsi que la sanglante opération qui devait produire l’égalité aboutit à l’inégalité la plus révoltante et en même temps à la tyrannie !

Ah ! c’est bien autrement que le Christianisme procède. Il n’abat pas les têtes élevées, mais il les courbe sous le joug de l’humilité, en même temps qu’il relève