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une gueule immense, capable d’engloutir un navire tout entier.

Un hollandais, M. Jansen, a dit que la première impression que l’on éprouve sur la mer est le sentiment de l’abîme.

C’est bien cela, j’ai senti l’abîme, et j’avoue que cette sensation n’est pas agréable.

J’ai toujours beaucoup aimé la mer… quand j’étais sur terre. C’est une illusion poétique que j’ai dû jeter par dessus bord avec quelques autres.

Une jeune fille m’a demandé ce matin d’écrire dans son album. C’est à peine croyable et cependant c’est vrai, les jeunes filles ont des albums jusque sur les mers. Celui-là se compose de questions auxquelles il faut répondre. Eh bien, à cette question : Quelle chose dans la nature aimez-vous le plus ? j’ai répondu : « La mer, vue du rivage. »

Aussi suis-je tout-à-fait en faveur de la navigation sous-marine du Nautilus racontée par Jules Verne. C’est là la vraie navigation que j’espère voir réaliser avant de mourir. En littérature, en politique, en jurisprudence, je n’ai jamais aimé nager entre deux eaux ; mais pour traverser l’Atlantique, il me semble que je m’accommoderais de ce juste milieu puisqu’on peut s’y moquer de la vague et du vent.

Soyons juste, et reconnaissons que la mer et le zéphir sont charmants. J’aime les puissants qui nous laissent ignorer leur force, et qui nous caressent quand ils pourraient nous détruire.