Page:Routhier - Conférence sur Sir Georges-É. Cartier, 1912.djvu/8

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Deux fois il refusa d’entrer dans le ministère Hincks-Morin. Son heure n’était pas venue.

C’est encore là un bel exemple donné aux hommes politiques. Refuser deux fois un portefeuille est un acte de modestie et de désintéressement qui est devenu assez rare, et savoir attendre son heure est une sagesse peu commune. Elle est nécessaire pourtant, puisque le Christ a voulu nous l’enseigner lui-même en répondant à ses apôtres qui le poussaient à la lutte : Mon heure n’est pas venue.

Pour l’arbitre futur de nos destinées nationales l’heure ne sonna qu’en 1854.

Le ministère Hincks-Morin s’étant alors retiré, le ministère MacNab-Taché le remplaça, et prit avec lui deux hommes qui devaient laisser dans notre histoire politique une empreinte ineffaçable — Georges Étienne Cartier et John A. Macdonald.

Saluez ces deux noms, Mesdames et Messieurs, car ils sont écrits en lettres d’or aux pages les plus glorieuses de notre histoire. Il ne s’est peut-être jamais rencontré deux hommes aussi bien doués pour la vie publique, et mieux faits pour s’entendre et se compléter l’un l’autre.

Tous les deux étaient nés chefs et meneurs d’hommes. Tous les deux aimaient la lutte, mais la lutte pour les idées et les principes.

Sir John était plus brillant mais moins laborieux. Sir Georges était plus solide et d’une activité infatigable.

Voici ce que Sir Georges m’a dit un jour de son illustre ami : « Mon collègue est un homme heureux. Il est si merveilleusement doué qu’il est dispensé de travailler. Dans les débats importants, il me fait parler le premier afin que j’étudie moi-même à fond le sujet du débat et que je fasse toutes les recherches nécessaires. Et quand j’ai fait mon discours et répondu aux objections, il me dit : « All right, je suis maintenant documenté, et en état de répondre à tout. »

Alors, il écoute les adversaires, il prend quelques notes, et il résume le débat en répondant à tout le monde, et tout le monde est d’avis que c’est lui qui a fait le meilleur discours.

Vous connaissez cet axiome : « Qui parle beaucoup agit peu ». Il n’est pas applicable aux femmes, car les femmes sont exceptionnellement douées sous ce rapport : elles peuvent conduire de front la parole et l’action.

Mais l’homme qui est un grand parleur n’est pas généralement un homme d’action. Eh ! bien, Sir Georges fut une exception. Il fut un grand parleur et un homme d’action extraordinaire.

On a fait une collection de ses nombreux discours. Ils ont peu de valeur au point de vue littéraire, mais ils sont pleins d’idées et de conceptions pratiques ; ils sont tous réductibles en actes et en œuvres.

Sir Georges parlait mal les deux langues, mais il les parlait avec une abondance et une force extraordinaires, et jamais il ne parlait pour ne rien dire.

Les interruptions ne le désarçonnaient pas. Elles le rendaient plus ardent et plus énergique. Un soir qu’il était assailli et interrompu par de nombreux contradicteurs, il se croisa les bras, et secouant la tête, il leur dit : « GO ON, I AM ABLE FOR YOU ALL ! »

Sa voix devenait alors stridente et tant que son adversaire n’était pas convaincu ou réduit au silence, il frappait dessus, comme un forgeron sur une enclume.

Il était de petite taille, mais il n’était pas timide, et il disait un jour aux robustes Écossais de Cornwall : « Ma stature n’a rien de formidable, mais Dieu m’a donné de l’audace, de la persévérance et l’amour du travail. » Il avait le regard franc et sans dol comme sa devise,