Page:Routhier - De Québec à Victoria, 1893.djvu/209

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La veille encore il l’avait outrageusement battue ; et dans son extrême douleur elle avait résolu de se suicider.

De grand matin, elle avait quitté le camp pour n’y plus revenir, après en avoir averti son mari. Mais loin de la retenir il lui avait dit : va-t-en, je ne veux plus te voir et je vais en prendre une autre.

Elle avait marché bien loin dans la prairie, déterminée à se laisser geler pour en finir avec la vie ; et bientôt elle avait senti que ses pieds devenaient graduellement insensibles. Mais alors son enfant s’était mis à pleurer, et quand elle avait vu le pauvre petit être cherchant encore un reste de vie dans ce sein que le froid envahissait, l’indestructible sentiment de la maternité s’était réveillé en elle.

« Si ma vie m’appartient, et si je puis en disposer, avait-elle pensé, la vie de ce petit être n’est pas à moi, et je n’ai pas le droit de la lui enlever. Je veux me tuer, mais je ne veux pas tuer mon enfant ! »

Et alors l’infortunée avait rebroussé chemin. Toute la nuit elle avait marché douloureusement, et lentement, avec ses pieds gelés.

Mais en dépit de ses efforts, elle n’avait pu parvenir au camp que le lendemain et elle l’avait trouvé désert, hélas !

Tout le monde en était parti ; et elle n’avait pas eu la force de marcher plus loin. Alors elle s’était trainée péniblement jusque sur les cendres encore chaudes du