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LA MAIN DE FER

où les lutteurs s’arrêtèrent dans un commun accord, haletant sous l’effet du premier choc, Émery eut conscience que son adversaire n’était pas un Iroquois, par le toucher de ses habits.

Il voulut s’assurer du fait tout de suite ; il formula du mieux qu’il put, à travers sa gorge comprimée par les doigts de l’autre :

— Tu n’es pas un Sauvage ?… Qui vive alors ?…

L’étreinte qui gênait sa respiration se desserra tout à coup, en même temps qu’on lui répondait :

— Émery !…

— Quoi ! Frédéric ?… exclama alors Émery, reconnaissant la voix de son ami.

— Eh ! oui !… c’est moi !… Quelle belle affaire nous étions en train d’arranger au profit de l’ennemi !…

— Tu l’as dit !… Heureusement que nous nous en sommes aperçus à temps !… Dieu ! que tu as la poigne dure ! J’ai peine à en revenir !

— Qu’allons-nous faire à présent ?

— Voyageons de conserve, dit Émery, et je vais te développer mes idées ; ton concours me sera très utile… Hâtons-nous ! car nous avons perdu du temps !

En route, Émery raconta à Frédéric ce qu’il avait appris des projets destructeurs des Tsonnontouans, et de l’urgence de les communiquer à tout prix à Tonty avant que l’on ait pu les mettre à exécution. Mais lui, Émery, voulait des détails plus amples, et c’est pourquoi il avait songé à se rapprocher du camp ennemi pour essayer de se saisir de tous leurs secrets.

— Moi, dit Frédéric, en entendant l’avertissement de Léon, comme toi j’eus l’inspiration de grimper dans un arbre, et bien m’en a pris, car aussitôt j’ai entendu passer sous moi plusieurs personnes qui nous cherchaient, mais j’étais trop haut perché pour savoir s’ils ont parlé. Aussitôt que je crus prudent de descendre, j’ai obliqué à droite, et j’avais moi aussi le dessein de m’approcher du camp ennemi, non pour surprendre leurs secrets ; j’ignorais qu’ils en eussent, mais pour tenter la délivrance de notre compagnon !

— Nous pourrons faire d’une pierre deux coups, dit Émery. Mais le plus important, et ce qui doit nous occuper tout d’abord, c’est de travailler à faire avorter les projets de ces bandits… Maintenant, plus un mot… je flaire du danger !…

Ces paroles entre les deux compères avaient été soufflées à l’oreille de l’un et de l’autre.

Entre les arbres, droit en avant, apparut bientôt la lueur d’un feu, dont l’élévation du terrain cachait le foyer.

Des bruits confus de voix parvenaient jusqu’aux deux Français.

Ceux-ci enfin arrivent au sommet d’une butte. De là, ils dominent une coulée occupée par une bande de guerriers indiens. Léon bien ficelé est couché au pied d’un arbre. Le pauvre homme ! il pense sans doute à ses amis et calcule peut-être leurs chances de succès à le tirer de là. Un homme debout, tournant le dos à nos aventuriers, semble avoir des allures de commandement et donne des ordres. Ses habits dénotent un goût plus recherché que celui de ses suivants et sont d’un modèle moins grossier. Émery qui étudie ses bestes, songe :

— C’est un Anglais ou un Hollandais !

Émery examine ensuite la topographie du lieu, à l’aide de la clarté répandue par les grosses branches qui flamboient au feu attisé par les Sauvages.

À gauche et en avant, des arbres forment un rideau épais et bordent la scène ; à droite, un clapotement régulier indique la proximité de l’eau. C’est l’onde fugitive du puissant Niagara, qui malgré l’ardeur prononcée de sa course rapide baise en murmurant le bas de la robe verte de la jolie petite île Cayuga.

Après un moment d’examen soutenu dans cette dernière direction, Émery entrevoit vaguement, renversées sur la rive, quelques embarcations indiennes d’écorce de bouleau.

Il se penche vers son ami qui pendant ce temps n’avait soufflé mot, et il lui glisse quelques paroles à l’oreille. Frédéric fait un signe d’assentiment en pressant la main d’Émery puis il disparaît de nouveau dans les ténèbres. Émery attend immobile.

Un quart d’heure écoulé, une détonation retentit à courte distance au-delà du rideau d’arbres. À ce bruit, presque tous les peaux-cuivrées s’élancèrent sous bois vers l’endroit du coup de feu, et ceux qui restèrent — trois ou quatre — se rapprochèrent du prisonnier pour le mieux garder, mais ce faisant, s’éloignaient légèrement des embarcations.

C’était le moment tant désiré d’Émery. Il sortit prudemment de sa cachette, puis prenant son élan il bondit en bas de la côte et détala jusqu’au bord de l’eau. Cette nou-