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CHAPITRE III.

Observations générales sur le Châtaignier & le Marronnier.


Je suis persuadé que le châtaignier & le marronnier ne peuvent pas complétement réussir dans toutes les positions, & même qu’il en est peu qui leur conviennent. Cette assertion paroîtra peut-être un paradoxe, puisque ces arbres croissent naturellement en Angleterre, le long du Rhin, dans le canton de Lucerne, sur les montagnes du Jura en Franche-Comté, dans le pays de Gex, le long du lac de Genève, dans la Savoye, le Dauphiné, la Provence, le Languedoc, sur les Pyrénées, les Apennins, dans la Corse, le Vivarais, le Lyonnois, le Limosin, l’Angoumois, la Saintonge, &c. mais partout où ce fruit jouit de quelque réputation, j’ai observé que ces arbres étoient plantés à une certaine hauteur, & dans des endroits froids. En effet, ceux des climats plus tempérés produisent des fruits moins savoureux, & même dans plusieurs, on se contente de semer des châtaigniers pour avoir des taillis & des bois destinés à faire des échalas ou des cerceaux. J’ai encore observé que cet arbre ne craint pas les plus fortes gelées, qu’il est très-lent à pousser ; mais qu’il exige, dès que sa végétation est commencée, presque jusqu’au moment de la maturité du fruit, une chaleur assez forte. En effet, dans les pays montagneux, la réverbération des rayons du soleil rend son activité plus énergique ; & plus son action est soutenue, plus le goût du fruit est parfumé. Si la saison de l’été & du commencement de l’automne est pluvieuse & au-dessous du degré de chaleur qu’elle doit avoir, le fruit aura moins de goût, & se conservera difficilement.

Le châtaignier & le marronnier aiment les croupes des montagnes fraîches, mais non pas trop humides. Les auteurs s’accordent à dire que le terrein léger & friable leur convient mieux que tout autre ; cependant j’ai vu de superbes maronniers sur des montagnes, dont le terrein est fort & compacte. Les marronniers qui donnent le plus de fruits, & qui prospèrent le mieux, sont ceux dont les racines sont assez heureuses pour s’insinuer dans les gerçures & dans les crevasses des rochers. Il s’y rassemble un amas de terre végétale, dont les pluies les remplissent, & c’est, sans doute, à la fertilité de cette terre précieuse qu’est due la végétation surprenante de ces beaux arbres. Il n’est pas aisé de décider si les rochers calcaires leur sont plus avantageux que les autres, puisque j’en ai vu de prodigieux par le tronc & par l’étendue des branches, sur des montagnes dont la nature de la pierre étoit diamétralement opposée. Dans la vallée de Baigorri, le sol est ferrugineux, semé de pierrailles & de rochers.

Le châtaignier ou le marronnier ne donnent, en général, des fruits supérieurs en qualité, que lorsqu’ils végètent sur les montagnes du troisième ordre. J’entends par montagne (Voyez ce mot) du troisième ordre, celles qui, par leur élévation ou position septentrionale, n’éprouvent pas une chaleur assez active pour la maturité complète du raisin. Cette loi générale peut, j’en conviens,