Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 3.djvu/221

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il suffira de jeter les yeux sur la transplantation des chênes tirés des forêts ; il est rare de la voir réussir, parce que, ou on achète ces arbres à tant la pièce, ou parce qu’on confie à des journaliers sans intelligence le soin de les tirer de terre. La fosse qu’ils ouvrent est trop étroite, pas assez profonde ; les racines sont coupées près du tronc, les chevelus abymés : ils ont beaucoup enlevé d’arbres ; ils paroissent avoir beaucoup travaillé : il étoit inutile de tant & tant se hâter, pour faire un mauvais travail. Si ces arbres à racines écourtées veulent attirer la sève, ils sont obligés à pousser de nouveaux chevelus, de nouvelles racines ; il valoit bien autant leur laisser celles qu’ils avoient déjà, les nouvelles auroient été une surabondance, & l’arbre n’auroit pas souffert jusqu’au moment où il a vécu aux dépends de ses nouveaux suçoirs. En un mot, je ne cesserai de le répéter, la nature n’a rien fait en vain ; elle n’a pas donné des racines aux arbres, pour être mutilées par la main de l’homme. Je prie les personnes les plus entêtées pour la suppression du pivot & le raccourcissement des racines & des chevelus, de juger ce que je dis par l’expérience ; de planter un arbre suivant la manière ordinaire, & d’en planter un autre avec son pivot & toutes ses racines, dans un trou proportionné à leur nombre & à leur volume : il faudra qu’ils portent le pyrrhonisme bien-loin, s’ils s’obstinent à se refuser à l’expérience.

Le progrès des lumières est sensible de jour en jour : on commence à revenir de ces avenues immenses en ormeaux ; le plus bel arbre de cette espèce ne supporte jamais le parallèle d’un beau chêne. Une avenue (voyez ce mot) plantée en beaux chênes & dans un bon terrein, produit à mes yeux le plus beau des spectacles ; & je n’ai pas l’idée affligeante de penser que leurs racines iront à vingt & trente toises au-delà affamer la récolte des grains, surtout si on a ménagé le pivot. Quelle fraîcheur on respire dans ces allées ! Comme les branches se courbent agréablement en ceintre, pour cacher la lumière du soleil, & pour me soustraire à l’ardeur de ses rayons !

Non, je ne connois point d’arbre aussi majestueux, & qui se prête plus aisément à mes désirs. La lenteur de la croissance du chêne lui a fait préférer l’ormeau : l’on veut jouir, ce sentiment est naturel ; mais pour l’homme qui pense, combien est douce la jouissance dans l’avenir ! Son idée lui représente les objets tels qu’ils seront un jour ; il jouit par anticipation : cette jouissance est pour moi plus délicieuse que celle de possession, qui ne me laisse plus rien à désirer.

C’est à l’homme qui plante ces avenues, que je demande s’il doit craindre une dépense un peu plus forte, en suivant le plan que j’indique ? C’est ici le cas de ne rien épargner. Dans une forêt, un arbre de plus ou de moins est peu de chose ; mais dans une avenue, il n’en est pas ainsi. Je mets en fait que, dans les plantations ordinaires, il en périt un tiers dans la première année ; que le second tiers est languissant pendant plusieurs années consécutives, & que l’autre tiers, qui a prospéré, nuira essentiellement aux plantations de remplacement, parce que les racines des arbres vigoureux iront