Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 3.djvu/300

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& l’air courageux. Mais c’est trop peu de le distinguer par des beautés extérieures que le temps, l’éducation, les hasards détruisent & changent nécessairement. Il en est que rien n’efface dans le chien, ce sont ses qualités intérieures. Orgueilleux, fier vis-à-vis des autres animaux, ennemi déclaré de quelques-uns, ou par nécessité ou pour notre plaisir ; terrible même pour ceux qui le surpassent en force & en grandeur ; avec l’homme, c’est un ami qui, pour lui plaire, n’a plus de fierté & de hauteur, qui cherche sans cesse à captiver son attachement par une espèce d’abnégation totale de soi-même ; il n’a plus de volonté, ou plutôt il n’en a qu’une, & qui se renouvelle à chaque instant, celle de servir son maître & de lui prouver son amour. Cette idée l’occupe sans cesse, elle dirige ses actions, anime ses mouvemens, enfante ses talens & développe son esprit.

Aimer & chercher à l’être, voilà son but ; obéir, travailler, souffrir, combattre, mourir, enfin, au service & pour son maître, voilà sa félicité. Ce n’est pas par intérêt qu’il agit ; un meilleur traitement, une nourriture plus abondante ou plus délicate, ne sont pas le but de ses actions ; un regard, un sourire qui annonce qu’il n’est pas indifférent, est sa récompense la plus flatteuse. Son maître, son ami est un ingrat, qui oublie ses services, qui est insensible à son dévouement, qui ne voit en lui qu’un vil esclave qu’il a dompté, & qu’il nourrit pour en être servi : n’importe, son maître est son maître, son ami est son ami ; ce n’est que pour lui seul qu’il vit. Il ne calcule pas si la reconnoissance équivaudra le bienfait ; il a rendu le bienfait, cela lui suffit : quel exemple pour l’homme ! Est-il aimé, au contraire, il croit toujours n’en pas faire assez ; il n’a pas assez de facultés pour témoigner, pour prouver son plaisir. Gestes, actions, regards, voix même, tout parle en lui, tout dit qu’il est heureux. A-t-il déplu par une faute qu’il n’a pu prévoir ? voyez avec quelle soumission il s’approche pour en recevoir le châtiment ; il souffre sans murmurer, il oublie aussitôt les mauvais traitemens qu’il vient de recevoir ; il en profite pour se corriger, pour mieux faire, & trouve encore un nouveau moyen de plaire, par son redoublement d’exactitude & de docilité. La main qui l’a frappé semble lui devenir plus chère, & loin que les justes châtimens aigrissent son caractère & l’éloignent de son maître, il excuse sa sévérité, craint de la renouveler, & s’attache davantage à lui.

Quel est l’animal qui réunisse tant de qualités faites pour être chéries & même adorées ! Pardonnons donc à l’homme de payer quelquefois d’un retour si marqué, d’une préférence presque exclusive, tant de soins, tant de sagacité, tant de talens, tant de services ; disons tout, tant d’amour. Que l’on traite les autres animaux en raison des services qu’ils nous rendent ; ce sont des mercenaires, des esclaves, si l’on veut ; il est de notre intérêt de veiller sur leur conservation, ils sont une partie de nos biens & de notre fortune ; mais il est bien doux de voir dans le chien, un ami qui nous aime pour nous, pour notre personne, pour nos plaisirs : le bien-être qu’il trouve dans notre société, n’entre pour rien dans son calcul. Le malheureux qui doit sa subsistance