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& deux couvées dans une année, si on a soin de la bien nourrir & de ne la pas laisser manquer d’avoine dont elle consomme beaucoup.

Lorsque le temps de incubation est venu, si la dinde manque d’œufs, elle aimera mieux couver la terre, & y mourra de faim sur la place choisie, plutôt que de l’abandonner : j’ai été témoin de ce fait.

J’ai voulu voir pendant combien de mois de suite une dinde seroit en état de couver. La première couvée fut de quinze œufs de dinde, & dura un mois ; la seconde de trente œufs de poule, & dura vingt jours ; la troisième de vingt-sept œufs de poule, & dura vingt-un jours ; en tout soixante & onze jours sans quitter le nid d’un seul instant. Mon intention étoit de lui faire recommencer une nouvelle couvée ; mais en soulevant cette pauvre bête, je la trouvai si maigre, si légère, si dénuée de plumes depuis le col jusqu’aux pattes, que je n’eus pas la force de continuer l’expérience. Je suis cependant persuadé qu’elle auroit fait une quatrième couvée par la peine que j’eus à lui faire abandonner son nid. À peine en fut-elle sortie, sans espoir d’en revenir, qu’elle courut se placer dans un coin de la cour sur un terrein sec & poudreux ; là, avec son bec, ses pattes & ses ailes, elle fit voltiger la terre & s’en couvrit entièrement. Étoit-ce pour se rafraîchir par cette espèce de bain, ou pour se débarrasser d’une infinité de petite vermine dont elle étoit couverte ? ces deux motifs peuvent y avoir part.

Une pratique de plusieurs paysans, & même dans des provinces très-éloignées les unes des autres, m’a singulièrement surpris. Ils mettent de la ferraille ou à côté du nid ou sous le nid : je leur en demandai la raison ; c’est, me répondirent-ils, pour empêcher le tonnerre de faire tourner les œufs. J’interrogeai un vieillard, & lui demandai si cette pratique étoit ancienne dans la paroisse : je l’ai vu suivre par mon père & par mon grand-père, & on la suit de temps immémorial. Voilà donc un des grands effets de l’électricité du tonnerre, connu par de simples paysans, avant qu’aucun physicien se fût occupé de ses merveilleux & étonnans phénomènes. Que le hasard ou que l’observation aient fait naître cette idée dans un coin d’un canton, & que de proche en proche elle ait gagné tout le canton, rien de plus ordinaire ; mais qu’elle se soit transmise à des distances si éloignées, de paysans à paysans, sans que les physiciens faits pour observer, en aient eu la moindre connoissance ! voilà ce qui étonne. Ils étudient dans leur cabinet, & très-peu communiquent avec cette classe d’hommes dont ils s’imaginent qu’ils ne peuvent rien apprendre. Il en est ainsi de mille opérations, dont les arts fourmillent, & qui étonnent les chymistes, lorsqu’ils viennent à les connoître. Si l’expérience a démontré que les coups de tonnerre, ou plutôt son électricité agit sur les œufs comme sur les vers à soie, lorsqu’ils montent pour faire leur cocon, il est très-sage d’employer de la ferraille, avec laquelle l’électricité du tonnerre a plus d’affinité que les autres corps.

Si on a plusieurs dindes mâles inutiles, il est possible d’en faire, non des couveuses, mais des couveurs : voici la manière barbare dont on s’y