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prend, & que je n’ai pas éprouvée. On commence par plumer tout le ventre & l’entre-cuisses de l’animal ; ensuite, avec des orties, on frotte ces parties nues, ce qui excite une grande cuisson. Aussitôt après on enivre l’animal, en lui donnant du pain trempé dans le vin, & en assez grande quantité. Peu à peu les vapeurs montent à la tête, il chancelle, s’endort : on place sa tête sous son aile, & on le pose doucement sur des œufs. Si, à son réveil, il les abandonne, la même opération est répétée, & à la troisième fois il s’accoutume, ne les quitte plus, les couve, & conduit ensuite ses petits avec la même sollicitude, les mêmes soins que la femelle.

V. Des Dindonneaux. Le premier âge de ces oiseaux est critique, & il en meurt beaucoup. Ils craignent le froid, l’humidité, le trop grand soleil ; une assez longue privation d’alimens leur est funeste. Il est dit dans le Journal Économique du mois de Juin 1769, qu’en Suède on plonge les dindonneaux dans un vase plein d’eau, toutes les heures, s’il est possible, au moins pendant le jour qu’ils sont éclos, & on leur fait avaler par force un grain de poivre, après quoi on les rend à leur mère. Je n’ai pas répété ce procédé ; ainsi je ne puis rien en dire : les bains ne me paroissent pas extraordinaires ; mais à quoi sert le grain de poivre ? Est-ce pour picoter les tuniques, alors très-délicates, de leur estomac, & exciter plus de rapidité dans la circulation du sang, ou pour ranimer les forces affoiblies par les immersions ?

Il faut nécessairement donner à manger à ces petits animaux, leur ouvrir le bec, & le remplir de pâtée ; car ils ne savent pas becqueter & prendre leur nourriture, comme le petit poulet, lorsqu’il sort de l’œuf. Les autres oiseaux, pressés par la faim, ouvrent le bec lorsque la mère, ou lorsque la personne chargée de leur éducation approche ; mais le dindonneau exige qu’on le fasse manger comme par force. La domesticité les a-t-elle rendus stupides à ce point ? Non : aux Antilles, chez les Illinois, au Mexique, &c. le dinde est sauvage ; personne ne pourvoit à sa nourriture, il y est réduit à chercher sa vie. Ce fait m’a toujours paru fort singulier. La manière de les nourrir dans les premiers jours n’y contribueroit-elle pas, puisque le petit prend à la main, & aime à manger ainsi ? Mais on n’a pas la patience d’attendre, ni le soin de revenir souvent leur donner à manger ; on aime mieux les embecquer, c’est plutôt fait, & on les rend paresseux au point de rester, pendant plusieurs jours, dans l’oubli de leur penchant naturel, qui les porte à manger seuls.

Leur première nourriture doit être un mélange d’œufs cuits, de mie de pain & d’orties, le tout haché très-menu. On supprime peu à peu les œufs ; les orties cuites ou d’autres herbages mêlés avec du son, de la farine quelconque, suffisent ensuite : l’orge, le millet & autres grains semblables, leur apprennent à becqueter & à acquérir ce coup-d’œil si juste, que dans la suite ils enlèvent le plus petit grain de terre sans la toucher.

On ne sauroit leur donnera manger trop souvent & les tenir dans un lieu trop sec. Si le temps est beau, il est prudent de les conduire dehors avec leur mère ; mais si le soleil est très-