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Section première.

Des Principes de la Grappe.

La grappe est un prolongement du sarment, comme celui-ci l’est du cep ou tronc, & le tronc des racines. La direction des fibres ligneuses, corticales, la substance médullaire, y sont les mêmes, avec cette différence cependant, que le diamètre des canaux séveux & médullaires est infiniment petit, resserré, & s’écarte de la ligne droite.

Dans les provinces méridionales, où la végétation de la vigne est d’une force surprenante, & où il n’est pas rare de voir des sarmens de dix à douze pieds de longueur sur plus d’un pouce de diamètre, la grappe laissée sur le cep, dépouillée de ses grains, dès que le raisin change de couleur ou même un peu plutôt, devient un véritable sarment, puisque l’année suivante, si on conserve la partie du sarment qui la supporte, il s’y forme des yeux & ensuite des bourgeons.

Chaque espèce de vigne est-elle susceptible de produire dans le midi le même phénomène ? Je l’ignore, mais je l’ai observé sur deux espèces. Dans nos provinces du nord, où la végétation est foible, je doute de la possibilité de ce phénomène. Si on n’étoit pas déjà convaincu, par l’anatomie & par la dissection, que la grappe est une prolongation de toutes les parties constituantes du sarment, & qu’elle en diffère seulement par le diamètre & la spirale de ses canaux, le fait que je rapporte le démontreroit jusqu’à l’évidence. Or, si la grappe est en tout semblable au sarment, l’un ou l’autre sont-ils en état de produire du spiritueux par la fermentation ? On verra tout à l’heure le but de cette question.

Lorsque l’on mâche le sarment ou la grappe encore verte, le palais éprouve l’effet de l’astriction & d’une forte acidité ; à mesure que le bois & la grappe mûrissent, l’une & l’autre se dissipent en partie ; enfin, lorsqu’ils sont complétement mûrs, ce qui est annoncé par la couleur brune, si on les mâche, alors on reconnoît moins d’astriction, très-peu d’acidité, & peut-être un petit goût sucré, sur-tout dans ceux des provinces méridionales. D’après ces gustations très-souvent répétées, je fis ce raisonnement : La partie sucrée est la seule dans la nature, qui, aidée par la fermentation, produise le spiritueux, partie essentiellement constituante du vin quelconque. Or, si le goût me laisse soupçonner que dans le sarment & dans la grappe il existe un principe sucré, je puis donc, par le secours de la fermentation, retirer au moins une légère partie de spiritueux. Je pris, à cet effet, une certaine quantité de grappes de raisin, dont j’avois séparé chaque grain en coupant les péduncules avec des ciseaux, afin que le suc du grain n’imbibât pas la grappe. Je pris égale quantité de sarmens ; ils furent coupés en petits morceaux, & le tout jeté dans un vaisseau suffisamment rempli d’eau, pour qu’elle surnageât & les grappes & les morceaux de sarmens retenus au fond du vase par une planche chargée de pierres, qui recouvroit ce mélange. Il s’établit une fermentation dans cette espèce de cuve ; il s’en dégagea de l’air atmosphé-