Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/394

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces poissons sont à nos étangs ce que les oiseaux domestiques sont à nos basses-cours ; presque tous n’ont de défense que leurs coups de queue, & leur bouche est dépourvue de dents ; il n’en est pas ainsi des poissons suivans.

La perche. Quoiqu’elle ait la bouche petite & sans dents, elle ne laisse pas d’être vorace, de ruiner bientôt la menuisaille. On peut la mettre dans les étangs à brochet : à moins qu’il ne la prenne par surprise, elle s’en défend en lui présentant la queue, & en dressant aussitôt l’aileron piquant qu’elle a sur le dos. Avec cette même arme, elle perce une infinité de poissons qui meurent de leurs blessures.

Le brochet est le roi des étangs ; s’il y trouve une nourriture abondante, il devient monstrueux ; au défaut de roussaille, il dévore les brochetons : un brochet de six livres tue une carpe de même poids, & la mange en grande partie dans la matinée. Les dents de cet animal sont nombreuses, fortes, aiguës ; sa bouche très grande s’ouvrant largement lorsqu’il mord, ses deux mâchoires se serrent si sort l’une sur l’autre, qu’il est très-difficile de lui faire lâcher prise. Si le brochet se trouve dans un étang seulement peuplé de carpes sans menuisaille, & qu’il soit vendu au prix d’un écu, il est démontré qu’il aura détruit pour la valeur de cinquante francs de carpes. On assure que le brochet a pris en six ans, toute la grosseur où il peut parvenir, & qu’ensuite, il devient aveugle. La première partie de cette assertion est vraie jusqu’à un certain point, si l’étang est trop circonscrit. J’ai la preuve du contraire dans les étangs de vaste étendue.

Quant à la cécité, le fait demande confirmation ; cependant je suis bien éloigné de le nier, puisque cette assertion paroît avoir une espèce d’analogie avec une observation insérée dans le volume de l’Académie Royale des Sciences de Paris, année 1748, dans la partie de l’Histoire, page 27. « Dans la fontaine de Gabard en Angoumois, dit M. de Montalembert, voisine d’une de ses terres, on pêche souvent des brochets aveugles, & jamais aucun qui ne soit borgne ; ceux qui ne sont que borgnes, le sont tous de l’œil droit, & dans ceux qui sont aveugles, on voit aisément que l’œil droit a été attaqué le premier, & est beaucoup plus endommagé que l’autre. Cette fontaine est une espèce de gouffre dont on ne peut trouver le fond ; & plusieurs petites îles de roseaux qui flottent à sa surface, empêchent qu’on ne puisse se servir de filets pour pêcher, ce qui rend cette pèche très-longue & très difficile. Cependant M. de Montalembert fut assez heureux pour attraper un jeune brochet, qui effectivement se trouva borgne du côté droit. Ce qu’il y a encore de singulier, c’est que cette fontaine se décharge par un assez gros ruisseau dans la Lisonne ; & que, mal gré cette communication qui est très-facile, les gens du pays assurent qu’on ne prend jamais dans cette rivière de brochets borgnes ou aveugles, & qu’on n’en prend aucun dans la fontaine qui ne le soient. »

On ne sait positivement jusqu’à quel âge ce poisson peut vivre ; mais un brochet pris près d’Hélibron, fut reconnu avoir deux cents soixante-