Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/380

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Dans ce cas l’habitant du nord & celui du midi ont raison dans le fond ; mais tous deux ont tort d’avoir généralisé leurs assertions.

Il faut donc observer, pour greffer, le climat & la manière d’être de la saison dans telle ou telle année. Je demande au greffeur le plus habile des Provinces du nord, si dans les mois de février, de mars ou jusqu’au milieu d’avril de l’année 1784, il a trouvé un seul arbre susceptible de recevoir la greffe ? L’hiver rigoureux & prolongé au-delà des bornes connues, tenoit la nature entière engourdie : cependant dans les Provinces méridionales on auroit pu, à la rigueur, greffer certains arbres au commencement de mars. Il est donc plus qu’inutile de fixer des époques que les circonstances rendent arbitraires ; mais il existe des époques naturelles qui ne trompent jamais le cultivateur, les voici. Lorsque l’écorce, rendue inhérente au bois par l’engourdissement de la sève durant l’hiver, commence à se détacher de ce bois, alors on est assuré que la sève gagne le sommet de l’arbre : lorsque cette écorce se détache facilement, l’arbre est en pleine sève. On connoît l’un & l’autre en coupant un petit rameau, & avec le tranchant de la serpette on soulève l’écorce qui cède & se détache plus ou moins promptement, en raison de la quantité de sève. Voilà pour les greffes à faire dans la première saison. Tant que cette première sève existe, on peut greffer.

À une certaine époque très-variable suivant le climat & sur-tout suivant la saison, les mouvemens de cette première sève se ralentissent enfin ils sont nuls pendant quelques jours. On reconnoit ce point de démarcation entre la sève du printemps & celle vulgairement appelée du mois d’août ou seconde sève par l’adhésion de l’écorce au bois, beaucoup moins forte cependant qu’en hiver. Comme ce signe n’est pas bien caractéristique, puisque si l’été est pluvieux, une sève succède à l’autre presque sans aucune interruption, j’en ai vu l’exemple dans nos Provinces méridionales ; mais voici un second signe caractéristique par les arbres à fruits à pépins, qui me paroît décisif. Il est indiqué par M. de la Bretonnerie dans son excellent Ouvrage intitulé École du jardin fruitier, & je crois que c’est à lui qu’on en doit la première observation. En parlant de la greffe en écusson, il s’explique ainsi : « La meilleure saison de la faire est au déclin de la canicule, lorsque la sève s’arrête, ce que vous remarquez lorsque le bouton est formé au haut des branches des poiriers & des pommiers, & qu’on ne voit plus deux feuilles en fourche au bout des branches, ce qui montre quelles s’allongent encore, la sève marchant toujours ; mais quand les deux feuilles sont disparues, que la branche est fermée par un bouton, c’est-là le signe certain que la sève est arrêtée. Le pêcher ne marque pas de même, mais sa sève s’arrête aussi en septembre peu après les autres ».

Le choix du jour & de l’heure pour greffer n’est pas indifférent ; quant à la prétendue influence de la lune suivant ses différentes phases, c’est une absurdité, quoique la lune agisse par sa pression sur l’atmosphère en général, (voyez le mot Lune) ; ce n’est pas le cas d’entrer ici dans une pareille discussion. Dans