Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1785, tome 6.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alors tout sera fait à l’aise, sans précipitation & par conséquent tout sera bien fait.

Je connois plusieurs cantons dans le royaume, où l’on ne laboure les terres, très-bonnes à la vérité, que pendant le mois ou les six semaines qui précédent l’époque des semailles, & où cependant les bleds sont de la plus grande beauté. Ce genre de culture me surprit, & j’observai 1°. que, depuis une récolte jusqu’aux semailles suivantes, ces champs servoient de parcours aux troupeaux, & que les propriétaires avoient grand soin de détruire les herbes que les moutons dédaignoient & refusoient de manger. 2°. Qu’ils y conduisoient leurs troupeaux à des époques éloignées, afin que l’herbe broutée eut le temps de repousser. 3°. Que les enfans arrachoient les coquelicos & aurres herbes (que les moutons ne mangent pas) lorsqu’ils étoient en pleine fleur, & ils laissoient la plante sur le champ se consommer. 4°. Si, lors des premiers labours, la terre étoit dure, sèche, ils attelaient à la charrue quatre bœufs au lieu de deux, & la charrue passoit deux fois dans la même raye, afin d’ouvrir un sillon de six pouces au moins, ou de huit pouces au plus de profondeur. 5°. Que des enfans, des femmes, armés de petits maillets de bois, longuement emmanchés, frappoient sur les mottes & les brisoient, de manière qu’en six semaines de temps la terre étoit parfaitement labourée, & ses molécules bien divisées. J’avoue n’avoir pas mis en pratique cette méthode de cultiver ; malgré cela elle me paroit mériter d’être examinée & suivie de près dans plusieurs cantons, sur-tout dans ceux où les bras & les animaux ne manquent pas.

Cette méthode confirme ce que j’ai dit plus haut au sujet de l’évaporation. Ces labours, dans ce cas, donnés coup sur coup, détruisent & enfouissent les racines des plantes, mêlent le crotin des moutons avec les molécules de la terre, & celles du dessous comme du dessus se trouvent bien mélangées. Le crotin sert d’engrais, il facilite la germination & son développement, & à mesure que les herbes pourrissent, le nombre & l’extension des racines augmente. Je pense qu’une pareille méthode seroit très-utile sur un sol de médiocre qualité ; la grande attention à avoir est de détruire les herbes dédaignées par les troupeaux, afin de les empêcher de se reproduire par la graine.

Les principes que j’ai établis sont en contradiction formelle avec ceux des systèmes de culture qui furent si fort à la mode il y a vingt à trente ans, & rapportés au mot Culture, je crois les miens fondés en théorie, & j’ai l’expérience de leur réussite. Je ne demande pas qu’on les adopte, mais qu’on ait la complaisance de les mettre en pratique sur un champ quelconque, & sur-tout que l’on juge par comparaison, en rendant les circonstances égales : alors on prononcera d’une manière sûre si j’ai tort ou si j’ai raison. L’expérience doit être le seul guide en agriculture, & l’art de préparer les terres n’admet point d’hypothèse. Je n’attache aucune prétention à ma manière d’écrire, je dis ce que je vois, ce que j’exécute & ce qui me réussit, je serai très-reconnoissant envers celui qui me fera connoître un meilleur plan de labour.