Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1786, tome 7.djvu/126

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les Observations qu’il a eu la bonté de me communiquer sur la culture du noyer. J’ai beaucoup de noyers dans ma campagne. (près de Crest en Dauphiné) J’ai suivi attentivement le rapport de plusieurs plantes dans un assez bon sol. Le produit a été plusieurs fois de dix mesures du pays, par chaque arbre ; chaque mesure contient environ soixante cinq liv. de froment, poids de marc, & le produit des dix mesures a été de vingt-cinq à trente liv. : je pourrai citer plusieurs exemples semblables ; je ne conclus pas de-là que chaque noyer puisse produire autant, puisque le produit tient à beaucoup de circonstances locales, mais ce que je dis, prouve le parti qu’on peu tirer de cet arbre.

Ce qui le rend précieux à mes yeux, c’est le peu de mise que sa récolte exige. J’ai éprouvé plus d’une fois que 30 à 36 livres de frais suffisoient pour récolter une masse de noix, dont le produit étoit environ de 400 liv.

Trowel dit qu’un beau noyer, très-bien conditionné, se vend en Angleterre 40 jusqu’à 50 liv. sterling ; & M. Hall assure que cet arbre a plus de qualité en Angleterre qu’en France. Sans entrer dans l’examen de ces faits, on doit convenir qu’aucun arbre ne mérite plus d’être cultivé que le noyer, si de telles assertions sont vraies ; ce qu’il y a de très-certain, c’est que le tronc du plus beau noyer de France ne sera pas vendu au-delà de cinq à six louis d’or.

Les ébénistes, les menuisiers, les carrossiers sur-tout, se passeroient difficilement de ce bois ; il est doux, flexible, liant, souffre le ciseau, prend un beau poli, fournit des planches larges, minces, & qui se prêtent, au moyen du feu, à tous les contours qu’on veut leur donner ; enfin, ce bois une fois sec, ne se tourmente point, ne se resserre pas, & reste dans le même état où il est employé. Les tourneurs, les statuaires & les sculpteurs font beaucoup de cas de ce bois, il seroit très-difficile de le suppléer par un autre.

Tel est le précis de l’éloge que mérite le noyer : examinons actuellement par quelles raisons le nombre de ces arbres diminue de plus en plus dans certaines provinces, & s’il est dans l’ordre de la bonne ménagerie de le diminuer.

Il faut attendre près de vingt ans avant d’avoir une récolte passable de l’arbre que l’on a planté, & soixante, pour qu’il soit dans sa perfection ; il est long-temps en pépinière, & on aime à jouir : peu de cultivateurs prennent la peine d’en établir ; il faut donc, en général, recourir aux pépiniéristes qui vendent chèrement ces arbres : ces raisons réunies, s’opposent aux remplacemens.

On a vu très-souvent des récoltes entièrement perdues par des gelées tardives. — On voit chaque jour de très-grands espaces sacrifiés dans les meilleurs champs au noyer, & aucun grain ne prospérer sous son ombre ; & cette perte a excité beaucoup de regret ; enfin, la muriomanie est survenue, & dans un quart d’heure on a décidé la suppression d’un arbre, qui, depuis soixante ans, faisoit l’ornement d’une campagne ; on a pris pour excuse l’ombre funeste du noyer, & l’on n’a pas examiné que les racines du mûrier feroient beaucoup plus de tort ; que la cueillette des feuilles abymoit les champs semés ; enfin, on n’a pas mis en pro-