Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1786, tome 7.djvu/382

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nous ne pouvons nous dispenser de désapprouver l’usage adopté en quelques cantons du royaume, d’envoyer moudre à la fois plusieurs espèces de grains, dont la nature, la configuration & le volume, étant entièrement différens, exigent chacun une mouture particulière ; jamais ils ne peuvent fournir une farine aussi bonne ni aussi abondante que si les mêmes grains eussent été écrasés séparément ; il faut donc toujours moudre à part le blé quoiqu’on ait l’intention de mêler sa farine avec celle des autres grains ; cette pratique évite encore une perte de temps considérable ; le particulier & le meunier ont donc le plus grand intérêt de l’adopter.

Mais comme le blé le plus parfait au sortir du grenier, peut perdre de ses excellentes qualités, par l’ignorance du meunier ou par l’imperfection du moulin ; qu’un bon ou un mauvais moulage présente une différence énorme dans les produits d’un même grain ; qu’enfin on doit regarder la mouture comme la première opération de la boulangerie, nous croyons qu’il manque à l’article mouture quelques observations qui ne seront pas déplacées ici.


Réflexions sur la mouture.

Le blé porte avec lui trois caractères distinctifs dans les mains du meunier ; l’écorce, la substance la plus extérieure qui est le son ; la farine déjà divisée dans le grain dont elle occupe le centre, qu’on désigne par farine de blé ; enfin une autre farine la plus voisine de l’écorce, qui, étant détachée, se présente sous la forme de petits grains qu’on nomme vulgairement gruaux. L’art de moudre consiste donc à séparer ces différentes parties les unes des autres, & à conserver à chacune ses propriétés respectives ; il faut, pour cet effet, que la farine ne soit que tiède au sortir des meules ; que le son soit large, parfaitement évidé ; qu’il ne contienne plus rien de farineux ; qu’enfin il ait la même couleur qu’il avoit avant d’avoir été détaché du grain : tel est du moins le but qu’on doit se proposer, quelle que soit l’espèce de grain qu’on veuille faire moudre.

Si au contraire la farine arrive chaude ou brûlante à la huche, les parties savoureuses du grain se volatilisent par l’action violente des meules, la matière huileuse du blé augmente de couleur, la substance glutineuse éprouve une sorte de décomposition, la farine est piquée, rougeâtre, elle mollit au travail, & n’a plus de corps. Mais comment parvenir à empêcher que le meûnier ne dénature le blé à ce point, si dépendant lui-même du moulin qu’il a à conduire, & de toutes les pièces qui composent ces grandes & industrieuses machines, il lui est impossible, malgré ses soins, de rectifier ce qu’elles ont de défectueux en elles-mêmes ! mais continuons nos observations.

Lorsque les grains étoient à bon compte, le prix de la mouture en substance balançoit assez celui de la mouture en argent ; mais le renchérissement successif du blé ayant rompu cette balance & augmenté les autres denrées à proportion, il s’en est suivi que le meûnier qui retient la mouture sur le grain, a vu son bénéfice doublé & même triplé, tandis