Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1786, tome 7.djvu/465

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

particulier ; mais depuis que les hommes se sont établis en société, depuis qu’ils ont distingué le tien & le mien, depuis que par le défrichement ils se sont rendus propriétaires d’un sol vacant & qui n’appartenoit à personne, cette propriété est devenue la récompense de leur travail, & le laps de temps a confirmé la validité de cette jouissance ; en un mot, cette propriété est devenue sacrée, & sans elle toute l’harmonie de la société seroit détruite & anéantie. Ce principe de propriété qui a eu pour base dans le temps, ou la loi du plus fort, ou le travail, ou les acquisitions successives, ou les donnations, &c. est consacré de telle manière aujourd’hui, il tient tellement lieu du premier droit naturel, qu’on regarde comme un tyran, comme un monstre, le souverain même qui ose l’attaquer. Cependant une commisération mal-entendue, ou plutôt mal interprétée, les abus d’une anarchie, de petites & légères entreprises, conduites pied à pied & pendant plusieurs années, ont fondé à la longue un droit qui a pris force de loi, ou par la négligence des propriétaires, ou par leur état de foiblesse contre les usurpateurs ; enfin la vaine pâture a été établie sur les champs, sur les prés, & la propriété n’a plus été sacrée.

Il y a des parcours légitimes, tels sont ceux qui sont fondés sur des actes. Par exemple, une paroisse endettée, veut se libérer, la paroisse voisine lui avance la somme nécessaire, à condition que la vaine pâture de ses troupeaux aura lieu. Je vends un champ à un de mes voisins, mais je me retiens le droit de parcours sur ce champ ; il est clair que le voisin l’achète en conséquence & librement, il le paie moins cher, & la propriété est divisée entre lui & moi ; mais ce droit lorsqu’il n’est pas appuyé d’un titre authentique, est un abus destructeur de la propriété. Se servira-t-on des armes de la religion pour le maintenir, pour assurer la subsistance du pauvre ? Consultez l’article communaux, & vous verrez que les riches sont presque les seuls qui en profitent, & que, si dans une paroisse cent individus désirent & demandent à grands cris leur partage, les dix plus riches habitans s’y opposeront & accumuleront tellement les obstacles, que la voix du pauvre & de l’indigent sera étouffée. Cependant, par ce partage, le misérable deviendroit propriétaire, il seroit moins malheureux, plus utile à sa femme, à ses enfans & à l’état ; cette même religion parle pour lui ; il n’en sera rien ; c’est l’homme riche qui fait la loi, ou du moins qui la sollicite.

Je ne crains pas d’avancer que tout droit de parcours qui ne porte pas sur un titre par écrit & authentique, est un titre abusif, contraire à la religion, au bon sens & à l’équité. On aura beau objecter qu’il est autorisé par les arrêts de parlement, qui confirment ces coutumes locales ; les parlemens, les cours de justices ne peuvent pas prononcer contre le droit établi, mais c’est à eux à porter au pied du trône les plaintes des sujets, & à faire connoître l’abus au souverain, afin que sa bonté paternelle le fasse cesser. Il a reconnu qu’il étoit dans l’heureuse impuissance d’attaquer la propriété de ses sujets, & les sujets, à l’ombre d’une coutume barbare, attaqueront la propriété des autres sujets ! Pareille idée