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produit de nos moissons ; enfin, c’est bien de toutes les productions des deux Indes, celle dont l’Europe doive bénir le plus l’acquisition, puisqu’elle n’a coûté ni crimes, ni larmes à l’humanité.

Une circonstance à laquelle il ne paroît pas qu’on réfléchisse assez, & qui mérite néanmoins de fixer l’attention générale, c’est que la pomme de terre étant en état de mieux alimenter les cultivateurs & leurs bestiaux pendant la saison la plus morte de l’année, il s’ensuivra qu’ils auront les moyens d’en posséder un nombre plus considérable, & que la race humaine pourra elle-même s’augmenter, puisqu’il est démontré par un grand nombre d’observations que cette plante est favorable à la population, & que la quantité d’enfans qu’on voit en Irlande est due au très-grand usage que les habitans font de ces racines, soit parce qu’elles les préservent des maladies du premier âge, soit parce qu’elles donnent à leurs parens plus d’aisance ou moins de besoins, & une constitution plus robuste.

S’il étoit possible de pénétrer de ces vérités importantes les habitans de nos campagnes, & de leur persuader que les années les moins riches en grain, sont extrêmement abondantes en pommes de terre, & vice versa, que la même plante peut servir également à la boulangerie, dans la cuisine, & dans la basse cour, sans doute on les verroit bientôt bêcher le coin d’un jardin ou d’un verger qui rapportoit au plus un boisseau de pois ou de haricots, pour y planter ces racines dont le produit procureroit une subsistance toujours assurée dans les plus mauvaises années : on verroit les pauvres vignerons, au lieu de se nourrir d’un mauvais pain composé d’orge, d’avoine, de sarrasin & de criblâtes où l’y vraie domine, (trop heureux encore quand ils en ont leur suffisance,) mettre au pied de leurs vignes des pommes de terre, & se ménager une ressource alimentaire, si propre à leur donner cette vigueur qui caractérise les habitans du nord de la France, chez lesquels elles forment pendant l’hiver la base de la nourriture. Enfin, on verroit les cultivateurs laborieux & intelligens, tirer d’une petite étendue de terrain le plus médiocre, de quoi faire vivre toute leur famille, fût-elle très-nombreuse, jusqu’au retour de l’abondance.

Quand on réfléchit que la plus grande fertilité du sol, & l’industrie du cultivateur ne sauroient mettre le meilleur pays à l’abri de la famine, & que les pommes de terre qui se développent avec sureté dans l’intérieur du sol, peuvent devenir un remède contre la disette accidentelle des grains que la gelée, les orages, la grêle & les vents, ravagent à la surface, & donner sans aucun apprêt une nourriture aussi simple que commode, on a droit d’être étonné, formalisé même, de l’indifférence qui règne encore dans certains cantons pour cette espèce de dédommagement dont il ne tiendroit qu’à eux de profiter : les habitans des campagnes travaillant beaucoup, & gagnant peu, trouveroient dans ce supplément de production une ressource conforme à leurs moyens, & que nulle autre n’est en état de leur procurer aussi abondamment.