Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1789, tome 8.djvu/235

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L’influence des préjugés & de la routine sur l’opinion des habitans de la campagne, ne doit pas faire abandonner le projet de les instruire quand on s’intéresse à leur bonheur. L’exemple de tous les préceptes le plus sûr, a déjà été employé avec fruit par plusieurs citoyens recommandables, grâces à leurs instructions & à leurs encouragemens ; la culture des pommes de terre a été adoptée dans des cantons d’où l’esprit de système & de contradiction sembloit l’avoir bannie pour toujours. Un jour viendra, & il n’est pas éloigné, qu’après avoir été avilie, calomniée, la plante acquerra l’estime générale, & occupera la place de productions incertaines, dont le résultat, estimé au plus haut degré, n’a jamais compensé les frais & les soins qu’elles ont coûté.

Qu’ils ne se refusent donc plus à l’adoption de cette plante en allégant la mauvaise qualité de leur sol ; le succès de la plaine des Sablons & de la plaine de Grenelle, malgré les circonstances les plus défavorables, prouve sans réplique, d’une part, qu’il n’y a point de terrains assez arides, assez ingrats qui, avec du travail, ne puissent convenir à cette culture ; & de l’autre, qu’il n’existe pas de végétal plus propre à commencer des défrichemens, à vivifier des terrains que la charrue ne sillonne jamais, ou qui ne rapportent pas en grains la semence qu’on y a jetée. Combien de landes où de bruyères, autour desquelles végètent tristement plusieurs familles, seroient en état de procurer la subsistance, le superflu même, à beaucoup de nos concitoyens, toujours aux prises avec la nécessité, & qui souvent n’ont d’autres ressources pour vivre que le lait d’une vache ou d’une chèvre, & un peu de mauvais pain. Pourquoi même dans les bons fonds n’accorderoient-ils pas également aux pommes de terre le même degré de considération qu’aux semences légumineuses & aux racines potagères ? elles seront, je le répète, un moyen assuré de parer toujours aux malheurs de la famine, & pourront, en cas de disette de grains, prendre la forme de pain, & nourrir aussi commodément que cet aliment.

Mais la pomme de terre n’a pas toujours besoin de l’appareil de la boulangerie pour devenir un commestible salutaire & efficace ; ces racines, telles que la nature nous les donne, sont une sorte de pain tout fait ; cuites dans l’eau ou sous les cendres, & assaisonnées avec quelques grains de sel, elles peuvent, sans autre apprêt, nourrir à peu de frais le pauvre pendant l’hiver : rien de plus vrai, rien de plus conforme à l’expérience & à l’observation. Pourquoi donc travestir artificiellement, au moyen de bien des manipulations, une racine farineuse que la plus simple opération rend sur le champ alimentaire ? Voici le langage que je n’ai cessé de tenir aux pauvres cultivateurs dont le sort me touche véritablement.

Consommez toujours les pommes de terre en nature ; quand il y a abondance de grains, associez-les à leur farine dans les années médiocres, & s’il ne vous reste absolument d’autres ressources pour subsister que ces racines en quantité, consacrez-en une partie à la panification pour avoir dans tous les temps l’aliment sous la forme habituelle. Leur culture, d’ailleurs, ne pourra, ja-