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& noirâtre ; il n’est pas même possible d’approcher de trop près les malades, sans être infecté par la puanteur de leur haleine. Il manifeste sur la peau des taches rouges, ensuite bleues, qui finissent par devenir plus nombreuses, plus livides & plus noirâtres : elles varient par leur forme ; les unes sont rondes, & les autres plates.

Le scorbut ne reste pas long-temps dans cet état, ses progrès deviennent rapides, & les mêmes symptômes prennent & acquièrent un second degré d’intensité. La respiration devient beaucoup plus laborieuse ; les malades sont presque toujours hors d’haleine, & croient être suffoqués au moindre mouvement. Leurs cuisses enflent, & se désenflent, les tendons fléchisseurs des jambes les retirent vers le fémur, & les roidissent. On a vu des vieillards dont les talons s’étaient insensiblement retirés vers les fesses. Les douleurs qu’ils éprouvent sont très vives, & peuvent être comparées à celles du rhumatisme le plus aigu, de la goutte, ou de la sciatique la plus douloureuse. Le ptyalisme qui survient à certains, leur fait aussi jeter les hauts cris. Il y en a qui ont évacué par la bouche, dans moins de vingt-quatre heures, plus de deux pintes de salive. À tous ces symptômes succèdent les crampes, le resserrement de la poitrine, les foiblesses, les sincopes ; les hémorragies du nez, des gencives, de l’anus, de la matrice, le crachement du sang, des ostrocopes ; enfin la corruption faisant toujours de nouveaux progrès, les taches deviennent plus considérables, & se changent en écquimozes.

Dans le troisième degré du scorbut, c’est-à-dire dans sa confirmation, les ulcères qui s’étoient formés auparavant, donnent un pus fétide & sanieux. Les anciennes cicatrices s’ouvrent, la peau des jambes craque, on y voit des tumeurs livides, molles & douloureuses, des fistules fangeuses & sanguinolentes : les malades sont attaqués de fièvres putrides colliquatives avec des sueurs froides & des hémorragies mortelles. Il leur survient quelquefois la jaunisse, l’ascite, une constipation opiniâtre, une difficulté de respirer qui les étouffe subitement, ou des douleurs très-vives autour de la vessie, presque toujours suivies d’une évacuation d’urine peu abondante, fétide & rouge, qui est toujours un sûr présage des fréquentes défaillances, & d’une mort prochaine.

Lister, Cokburnius & autres, ont regardé la nourriture salée dont les marins font usage, comme la vraie cause du scorbut ; ce sentiment, est encore adopté par un grand nombre de médecins modernes, qui ne connoissent point, sans doute, les expériences multipliées du célèbre Lind, médecin Anglois, & notamment celle par laquelle il conste avoir guéri dans l’espace de quinze jours, deux pilotes vraiment scorbutiques, en leur donnant à boire deux pintes d’eau marine dans le jour. Ces deux malades avaient les gencives putréfiées, les tendons des jambes racornis, & les cuisses œdémateuses.

Nitschius, Bachstromis & Russel regardent le sel marin comme le préservatif du scorbut ; Bartholin a arrêté, avec le plus grand succès, par le seul usage de l’eau de mer, les progrès de la corruption scorbutique.