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On remarque que les oignons prospèrent admirablement bien dans les terres noires qui ont un peu de substance ; ils y deviennent gros & produisent beaucoup de gros cayeux ; mais dans les terres roussâtres, la récolte des fleurs est plus abondante. Ceci a quelque rapport avec ce que remarquent les fleuristes. Leurs oignons se fortifient dans les terres un peu fortes & qui ont de la substance, mais les fleurs deviennent plus belles dans les terres légères & maigres.

On trouve dans la même terre deux sortes d’oignons ; les uns, larges, aplatis, fournissent plus de cayeux ; les autres, arrondis, donnent plus de fleurs… Il y a aussi des oignons qui ont leur robe ou enveloppe d’une couleur fauve, rouge & foncée, & d’autres qui l’ont blanchâtre, mais ces petites différences n’influent en rien sur les productions tant en fleurs qu’en oignons.

On prépare les terres qu’on destine au safran par trois bons labours qu’on donne dans l’espace d’une année avec la houe ou la bêche ; on remue la terre jusqu’à neuf ou dix pouces de profondeur, de sorte qu’une terre bien préparée doit être presque aussi meuble que de la cendre. On a grand soin de l’épierrer & de l’émotter. Le premier labour, qu’on nomme entre-hiver, se fait vers Noël ; le second, qu’on appelle biner, se fait au mois d’avril, & le troisième, qu’on désigne indifféremment par le terme de rebiner, se fait un peu avant de planter[1]

La Rochefoucault dit que dans l’Angoumois on fume deux fois les terres à safran avec du fumier très-pourri & réduit en terreau, & qu’on ne rejette que le fumier de pourceaux, ceux de brebis, de chevaux & de bœufs sont bons pourvu qu’ils soient pourris. Jamais dans le Gâtinois on ne fume les terres à safran ; peut-être est-ce par cette raison que le safran de cette province est plus estimé que tout autre[2].

Quoique Pline dise que le safran doit avoir été foulé aux pieds, on évite cependant de marcher ni de faire passer aucun animal sur les safranières, sur-tout quand la terre est humide. D’ailleurs le pas des hommes & des animaux endurcit la terre & forme alors un obstacle à la sortie de la fleur.

Les oignons souffrent beaucoup lorsque l’on retranche l’herbe ou la fane du safran. C’est pourquoi les pâtres ont grande attention d’empêcher leurs bestiaux de la paître. Quelques cultivateurs entourent leurs champs de fossés & de haies qui les défendent du bétail ; mais ces moyens ne suffisent pas pour arrêter les lièvres & les lapins, qui sont très-friands

  1. Dans l’Angoumois on sème sur le premier labour de grosses féves, & après leur récolte on couvre le champ de fumier, qui est aussitôt enterré par le second labour.
  2. Je croirois plutôt que le Gâtinois étant plus tempéré que l’Angoumois & le Languedoc, la végétation de l’oignon se trouve plus rapprochée de celle qu’il auroit éprouvé sur les Alpes ou sur les Pyrénées qui sont son pays natal. Cependant l’usage du fumier peur contribuer à diminuer l’odeur de la plante.