Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/325

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de faire impression sur ceux, qui faute de lumières & d’expériences, taraboutent tant & plus ces suçoirs & sur-tout les pivots des arbres, qui enseignent à le faire, & qui pis est, le prescrivent. Non-seulement les racines sucent, pompent & attirent les sucs prochains de la terre, mais encore ceux qui sont à des distances éloignées par proportion à la faculté de chacune d’elles, pour pomper & attirer la séve. C’est un fait certain, que toutes les racines ne pompent, ne travaillent & ne charient la sève qu’à raison de leur étendue & de leur capacité. Pourquoi les arbrisseaux & les arbustes ne parviennent-ils jamais à la grosseur des chênes ? C’est parce qu’ils n’ont que de petites racines & en quantité bornée. Il faut cependant observer quelquefois que la multitude des suçoirs, dans certaines plantes, comme dans l’if, le pin, le sapin, le cyprès, & autres semblables arbres à racines touffues, équivaut, par un ordre particulier de la nature, à la grosseur de nos arbres les plus forts qui furent pourvus de racines ligneuses d’une grosseur prodigieuse & d’une étendue immense.

À mesure donc que les suçoirs des arbres & des plantes quelconques pompent les sucs de la terre, il se fait aux environs de roche en proche, un envoi successif de sucs nouveaux, sans quoi la sève tariroit : de plus s’il n’en étoit pas ainsi, il seroit fort indifférent de planter près à près ou non. La comparaison de l’enfant qui tette est la plus juste quant au présent sujet : cet enfant qui tette aspire non-seulement le lait qui est contigu aux mamelons, mais encore celui qui est au-delà, puisqu’à mesure qu’il tette, il se fait de proche en proche, de la part des vaisseaux lactés, un dégorgement & une émanation successive de nouvelles portions de ce lait. Voilà l’image la plus ressemblante de l’action des racines pompant la sève. En coupant & en raccourcissant les suçoirs des plantes qui sont le premier principe, les agens de la végétation, les pourvoyeuses, les mères nourrices des plantes, que fait-on autre chose, sinon d’altérer & de détruire l’organisation des plantes, de troubler & de déranger leur mécanisme ?

Ceux qui suivent & observent la nature sur le lieu même, sont à portée de vérifier ces faits. On abat, par exemple, quelques gros arbres ; considérez la terre tout au tour & au loin, par de-là les racines ; vous la verrez comme de la cendre. Le même est par proportion au tour des plantes moyennes, & aux petites en semblables cas. Telle est la raison pour laquelle, dans le jardinage, quand on plante un arbre à la place d’un autre, soit vivant, soit mort, on observe scrupuleusement de changer la terre. Quant à la plantation d’un nouvel arbre, dans la même fosse d’un autre qui y est mort, M. de la Quintilliye, dit, que le nouvel arbre qu’on y plante, sans changer la terre, périt à cause d’une impression & d’une odeur de mort laissée dans le trou par le prédécesseur. C’étoit l’opinion de son temps.

L’autre vérité mérite toute l’attention de l’homme de génie, savoir, qu’en détruisant, de propos délibéré, quelques suçoirs pour en faire pousser nombre d’autres, c’est infirmer la végétation loin de la procurer. Ce n’est pas tant la multitude des petites raçines, & sur-tout de telles racines