Je ne présume pas, en général, que cette culture réussisse dans la basse Provence, le bas Languedoc & le bas Dauphiné ; en un mot, dans les pays à oliviers, la chaleur y est trop forte & les pluies trop rares. Cependant on peut l’essayer dans les terrains naturellement humides ; il vaut beaucoup mieux, dans ces climats, y cultiver la luzerne, qui s’y trouve dans son pays natal ; elle est beaucoup plus productive, y réussit à merveille dans les bons fonds, & s’y perpétue en bon état pendant dix années consécutives. Dans les climats tempérés du royaume, je préférerois également la luzerne, au trèfle, pour prairie artificielle, quoique celle-là y subsiste moins longtemps en bon état que dans les pays méridionaux. La culture du grand trèfle, comme prairie artificielle, est vraiment utile dans les cantons où les terres sont divisées en trois soles, royes ou saisons, parce que, dans les divisions du sol, on en réserve une partie pour prairie artificielle.
Le grand trèfle aime une terre substantielle, douce, légère, profondément labourée, afin que sa racine, naturellement pivotante, puisse s’enfoncer promptement. C’est de la prompte grosseur, longueur & profondeur qu’acquiert cette racine, que dépend la prospérité de la plante pendant les trois années qu’elle subsiste.
Pour qu’une tréflière réussisse à souhait, il convient, dès que les semailles sont faites, époque à laquelle on peut disposer des bestiaux de labourage, de donner aux champs qu’on lui destine deux labours croisés ; mais j’exige en outre, comme condition essentielle, que la charrue passe deux fois de suite dans le même sillon, afin de soulever la terre à une plus grande profondeur. Les cultivateurs qui ont le bon sens de se servir de charrues à roues, à soc profond, à large oreille, ne se dispenseront pas de ce second coup de charrue dans le même sillon, & ils répéteront la même opération en croisant le labourage. Je multiplie, il est vrai, la dépense ou le travail ; mais la prospérité de la tréflière pendant trois années, les dédommagera largement de leurs premières avances ; & les fromens que l’en sèmera ensuite sur la tréflière défoncée, prouveront encore mieux que les premiers travaux n’ont pas été faits à perte.
Je prescris ce premier labour double avant l’hiver, comme un travail de nécessité absolue, afin que la terre profite mieux ces gelées pendant tout l’hiver. La gelée est le meilleur cultivateur connu ; plus elle est forte, & mieux elle souleve la terre, & elle la soulève plus ou moins profondément, suivant son intensité. L’hiver de 1788 à 1789, en fournit la preuve la plus complète ; il émietta tellement la terre jusqu’à quinze pouces de profondeur, qu’au mois d’octobre suivant je trouvai encore, dans un sol naturellement compacte, ses molécules atténuées comme du sable, malgré les pluies du printemps, de l’été, & du commencement de l’automne. On peut donc se figurer sans peine, avec quelle rapidité la racine du trèfle plongera dans une terre ainsi ameublie, & combien, par cette profondeur, elle mettra la plante à l’abri des sécheresses.
Si on veut, ou si on peut, après l’hiver, répéter les deux labourages dans