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pour exemple fait bien connoître comment l’esparcette concourt à bonifier un terrain, même crayeux, & à plus forte raison tous les autres. Dans la craie il faut que la plante végète & suive les loix que lui a prescrites l’auteur de tous les êtres. Sa racine a une tendance forcée à plonger ; elle le fait, à moins que l’obstacle ne soit insurmontable, & personne n’ignore qu’une seule racine un peu forte suffit à la longue pour séparer les plus gros blocs de pierres, pourvu que ses chevelus y trouvent le plus léger interstice. Or le vice essentiel de la craie est sa grande ténacité ; les racines de l’esparcette peuvent seules la diviser. Dès-lors la craie commence à devenir susceptible de culture ; dès-lors les autres terrains moins tenaces profitent beaucoup plus.

Actuellement ce sainfoin, qui végète sur divers terrains, sert à y nourrir un très-grand nombre d’insectes, dont les dépouilles, pendant leurs métamorphoses & leur destruction, fournissent la substance graisseuse animale qui concourt à la formation de la séve. Cette ressource, qui paroît si mince au premier coup d’œil, ne l’est pas autant qu’on le pense. On comptera au moins pour beaucoup la quantité de feuilles de la plante, qui s’en détachent lors de la fauchaison, & que le râteau ne sauroit rassembler ; la quantité de feuilles qui pourrissent pendant l’hiver, & qui donnent les matériaux tous formés de la terre végétale. Si on ajoute encore les excrémens & les urines des bestiaux que l’on mène paître sur ces champs pendant l’hiver, on concevra qu’après la troisième ou quatrième année, leur superficie sera bien plus riche qu’elle ne l’étoit auparavant. Ces raisonnemens, quoique fondés sur les loix de la saine théorie, seroient cependant peu concluans, si l’expérience de tous les temps & de tous les lieux ne prouvoient que les récoltes en blés, qui succèdent après la destruction d’une prairie artificielle, sont plus belles que si cette prairie n’avoit pas existé. D’où l’on doit nécessairement conclure que plus le pays est pauvre par son fond, plus on doit s’attacher à la culture du sainfoin, & que par le moyen de cette culture, on alterne les récoltes & on bonifie les plus mauvais sols. Les auteurs ont donc eu raison de vanter cette plante comme une des plus précieuses : examinons comment elle doit être cultivée.


Section IV.

De la culture du Sainfoin.

Afin de ne pas trop généraliser les préceptes, & par conséquent, afin qu’ils ne soient pas nuls ou contradictoires, on doit distinguer les fonds de terre, 1°. en mauvais & médiocres, 2°. en bons & très-bons.

Dans les terrains mauvais & de médiocre qualité, il est essentiel de préparer le sol, au moins une année d’avance, par quelques coups de charrue. Le premier labour doit être fait à l’entrée de l’hiver, le plus profond qu’il sera possible, avec la charrue à roue, afin que l’eau des pluies & des neiges pénètrent & s’insinuent profondément. Plus le sol