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l’un ne peut s’en procurer qu’à très-haut prix d’achat. D’ailleurs, c’est donner une valeur réelle à un sol qui n’en avoit point, & il vaut mieux avoir peu que rien du tout. Lorsque cette esparcette commence à se détruire (toujours dans la supposition d’un sol très-sablonneux), il ne faut pas songer, aussitôt après l’avoir dérompue, à se procurer des récoltes de seigles. Je préférerois de laisser subsister les pieds de sainfoin qui n’ont pas péri, & je labourerais légèrement tout le terrain, afin d’y semer l’espèce de froment la plus dure. (onsultezle mot Prairie) Ce semis doit avoir lieu, dans les provinces du nord, au commencement d’août, & au commencement d’octobre dans celles du midi. L’herbe aura le temps de germer, de croître, & de se soutenir contre les fortes gelées. Chacun doit étudier son climat ; si les gelées y sont naturellement précoces, il vaudra mieux attendre après l’hiver.

Le conseil que je viens de donner paroîtra bien singulier, puisqu’il est contraire aux pratiques reçues ; cependant il est fondé en principes. Le sol, tel qu’on le suppose, est mauvais, parce qu’il n’a point ou peu de liaison, & sur-tout qu’il contient très-peu d’humus ou terre végétale ; donc si, après la destruction de l’esparcette, on sème du seigle, cette plante s’appropriera une grande partie de l’humus qui s’étoit formé pendant l’existence du sainfoin. Après la récolte du seigle, le sol se trouvera à nu & exposé à l’ardeur du soleil, qui fera évaporer le reste des substances graisseuses qui n’a pas été employé à la végétation du seigle ; enfin les pluies délaveront & entraîneront le surplus de cette terre végétale, qui a été cinq ou six ans à se former. Au contraire, si l’herbe tapisse la superficie du sol, il y aura peu d’évaporation ; elle accroîtra chaque année la couche de terre végétale, & servira elle-même d’engrais lorsque le temps sera venu de la retourner avec la charrue, & de semer une nouvelle esparcette. Si cette herbe fournit peu de fourrage, il n’en est pas moins vrai que le sol offre un pâturage aux troupeaux, & c’est déja beaucoup que d’avoir de l’herbe sur un sol tel qu’on le suppose. Peu à peu la substance animale & végétale s’y multiplie, & à la longue, le propriétaire acquiert un champ ; que si on ne veut le couvrir d’herbe, qu’après le défrichement du sainfoin, il soit semé en lupins, en raves, en carottes, &c., & que ces plantes soient enfouies par la charrue lors de leur pleine fleur ; enfin, que l’on continue la même opération pendant quatre ou cinq ans de suite, espace de temps qu’il faut laisser passer avant de semer une nouvelle esparcette. Plus un pays est naturellement pauvre à cause de la modicité du sol, & plus le cultivateur doit employer les moyens capables de lui procurer du fourrage. Je n’en vois pas d’autres, toujours dans la supposition d’un champ trop sablonneux, & je ne connois que l’esparcette capable de remédier à ce vice essentiel de composition. J’en conviens, c’est un terrain qu’il faut faire. Pour peu que le cultivateur soit à son aise ou actif, à coup sûr il ne l’abandonnera pas à lui-même.

Dans les champs plus fertiles, ces attentions sont moins nécessaires. Si les champs sont capables de produire de beau froment, il est inutile, &