Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/660

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

produire quarante mille vers à soie, en supposant que la couvée réussisse bien. Quoi qu’il en soit, une expérience assez générale a prouvé qu’il falloit, pour conduire à terme mille vers, environ cinquante livres de feuilles. Celui qui n’a pas l’habitude de juger au coup-d’œil la quantité de feuilles qu’un arbre peut fournir, après l’avoir dépouillé, pèsera la feuille & jugera ensuite par comparaison, quel doit être le produit réel de ses autres arbres. L’habitude lui apprendra à juger & à estimer le poids des feuilles de chaque arbre, sans se tromper de beaucoup, s’il répète ce procédé. Lorsqu’on connoît le produit des arbres, c’est-à-dire, la quantité des feuilles qu’ils donnent, il faut aussi apprendre à juger du nombre des vers épars sur une tablette de grandeur donnée : alors on peut savoir, à peu de chose près, la quantité de feuilles dont on a besoin pour une éducation déterminée.

Je suppose que le propriétaire qui bâtit un atelier pour des vers à soie, sache combien il en peut élever ; alors ils disposera le logement selon cette connoissance. On a remarqué qu’ils réussissoient assez bien dans les salles vastes & élevées des vieux châteaux. On a attribué ce succès à l’épaisseur des murs, au petit nombre de petites fenêtres, dont elles étoient éclairées. On a prétendu que ces murs étaient propres à garantir du froid & de la chaleur. Cela est vrai ; mais ils contractent l’humidité. Dans la saison des vers à soie, le froid n’est jamais assez considérable pour pénétrer les murs simples de nos habitations. D’ailleurs, comme on le dira dans la suite, l’art corrigera ce mal passager, s’il survient. La véritable cause de la réussite, est la grande élévation des planchers de ces sortes de salles, leur vaste étendue, ce qui procure aux vers une masse d’air très considérable, de sorte qu’ils respirent fort à l’aise. Ils sont en quelque sorte comme le malade dans l’hôpital, dont parle M. Tenon, qui a huit toises cubes d’air à respirer.

On dira peut-être, que le pauvre habitant de la campagne, ne met pas le même appareil pour l’éducation de ses vers, qui réussissent assez bien, quoiqu’ils soient logés dans des endroits bas, humides & étouffés. Je répondrai, 1°. qu’avant d’affirmer ce succès, il conviendroit de vérifier la quantité de graine qu’ils ont mise pour éclore, & la quantité de cocons qui en est provenue. Alors on jugeroit jusqu’à quel point a été la mortalité. Il faut encore observer, qu’il est très-rare que le paysan convienne de bonne foi combien il a mis de graine ; il en accuse toujours moins, parce qu’il ne s’en rapporte qu’à ses connoissances, ou pour mieux dire à sa routine, dans la conduire des vers à soie ; & il tâche de sauver son amour-propre par un aveu qui est rarement sincère. 2°. Il faudroit encore prouver s’ils ont en seulement deux bonnes années sur dix. Alors on se convaincra, que les circonstances accidentelles, & la manière d’être des saisons, ont singulièrement contribué au succès. On se hâte de juger, mais on est lent à réfléchir, à remonter aux principes & à comparer les circonstances. 3°. Dans le plan que je propose, il s’agit d’atteindre à la perfection, autant qu’il est possible, en suivant les principes physiques ; & non pas de suivre des routines qui contrarient les lois de la