Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/135

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Guienne, l’ordre d’aller établir sa résidence à Bordeaux. On l’y reçut avec un empressement et des honneurs qui, dans des temps moins calmes, auroient pu donner quelque inquiétude au souverain qu’il représentoit. Son palais devint bientôt le rendez-vous habituel de tout ce que renfermoit cette belle cité d’hommes riches et bien élevés, de femmes aimables ou jolies. De Gasq, président du parlement, et grand propriétaire dans les vignobles du voisinage, y fut accueilli des premiers et avec une sorte de distinction, parce que le ton aisé de la société, son goût pour le jeu et pour tous les plaisirs, rapprochoient sa manière d’être et ses inclinations de celles du maréchal dont il devint bientôt en effet l’ami particulier. Dans les fêtes magnifiques qu’il s’étoit fait la douce habitude de rendre à ce commandant de la Guienne, auquel il ne manquoit que le titre de roi, car il en avoit tout le faste et presque toute la puissance, de Gasq ne manquoit jamais de donner aux meilleurs vins de Bordeaux qu’il faisoit servir, les noms des crûs où il étoit propriétaire. Ce petit manège assez commun aux possesseurs des denrées de cette nature, lui réussit tellement que bientôt le Maréchal ne voulut, pour ainsi dire, offrir à ses convives, en vins de Bordeaux, que ceux du président ; et sitôt que les circonstances lui permirent son retour à Paris, il voulut que ses caves y fussent abondamment pourvues des mêmes vins. Richelieu, si près de la cour, n’osa pas y étaler le faste de la vice-royauté qu’il avoit exercée en Guienne ; mais sa réputation d’homme d’esprit et de bon goût, d’heureux capitaine, d’ancien favori du roi et de courtisan plutôt adroit que servile, lui conserva dans le monde une prépondérance marquée sur les hommes de son rang, qui avoient aussi la manie de vouloir être imités. Les vins de Bordeaux continuèrent d’être servis sur la table du maréchal avec une sorte de prédilection, et presque toujours sous le nom de vin de Gasq. À la cour comme à la ville, le nombre de ses imitateurs fut bientôt incalculable. Selon l’usage, pour tout ce qui est de mode, il en fut de même dans la plupart des grandes villes de province ; de là, l’étonnante consommation qui s’est faite depuis et qui se fait encore dans l’intérieur de la France, de vins de Bordeaux ou réputés de Bordeaux[1].

J’aurois voulu présenter ici avec méthode et placer dans son ordre chronologique la création des principaux vignobles français ; mais les monumens historiques de l’agriculture nationale ne nous fournissent rien d’assez précis à cet égard : quoi qu’on en ait dit, nous n’avons point encore eu de Pline. Je ne puis mieux faire en ce moment que de marcher sur les traces de le Grand d’Aussy qui a extrait avec tant de soin des livres

  1. Voyez le chapitre suivant.