Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/583

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contre les vents ? Sa racine pourroit-elle espérer la moindre humidité ? Quand la forêt couronnait le sommet de la montagne, un arbre que le tems détruisait laissoit à sa place dix rejettons dont il avoit été le curateur.

Osez tenter cependant, rien n’est impossible à l’homme. Si cent arbres viennent à prendre racines dans les fentes du rocher, ils protégeront l’enfance de mille autres, et vous aurez bien mérité de la pairie. Que le sol que vous aurez ainsi régénéré, soit déchargé d’impôts pendant un demi siècle, et la république y gagnera du bois dont elle va manquer, et de l’eau dont elle manque déjà.

Que les riches de nos jours portent-là une partie de leur or ; qu’ils emploient à replanter, l’argent que leur a valu la coupe de cent milliers d’hectares en bois qu’ils ont abattus. Mais non, ils ne replanteront pas : la patrie leur est étrangère ; d’ailleurs, pour semer ainsi et ne point recueillir, il faut aimer sa postérité, et l’homme immoral n’en a point ; il ne sait pas étendre son affection au-delà des générations présentes.

Il n’y a de grands amas d’eau que là où il y a de grandes forêts ; témoins les Alpes, les Pyrénées, l’Amérique septentrionale ; et il n’y a de fertilité que là où le sol jouit du bienfait de l’humidité. La Normandie ne perd rien de son ancienne fécondité, parce que chaque habitation rurale est assise au milieu d’une petite forêt qui en ferme l’enceinte.

On s’occupe dans ce moment de lois pour multiplier les canaux ; mais point de canaux sans rivières, point de rivières sans ruisseaux, point de ruisseaux sans sources, point de sources sans montagnes couronnées de forêts. Les arbres sont aussi des canaux, la sève y coule par ruisseaux[1]. Ce sont les arbres qui font circuler l’eau de l’atmosphère à la terre ; c’est goutte, à goutte que la nature reprend les flots d’eau vaporisée dont, dans sa prodigalité, elle a inondé l’atmosphère. Imitons-là, et sachons qu’un arbre de dix ans soutire le matin du météore aqueux, vingt à trente livres d’eau qu’il distille sur la terre, sans compter la quantité infiniment plus considérable qu’il en absorbe par la force de succion de ses branches et de ses feuilles. Ainsi, le dépérissement des bois et ce tarissement d’eau croissant, le commerce sera

  1. En douze heures, par un jour sec et chaud : un chou perd de sept à huit hectogrammes (25 onces), par la transpiration.

    Un soleil de 120 centimètres (3 pieds et demi) perd plus de 9 hectogrammes (30 onces). Un hectare en houblon transpire 2400 pintes d’eau. stat. des vég. de Haller.

    À Argenteuil, une portion d’un cep de verjus, retranché il y a un an de son antique souche, a donné un dmi-muid de sève : on sait ce qu’en fournit la vigne, le bouleau, le palmier.