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feuilles, en guise de clous, dans la construction de leurs pirogues, et pour armer leurs flèches.

Nous n’avons pas de détail circonstancié sur la manière dont on extrait les fibres des feuilles de cette espèce d’agavé. Tout ce que nous savons c’est, 1°. qu’après avoir coupé les feuilles à rase tige, lorsqu’elles sont parvenues à toute leur grandeur, on les met rouir dans des auges ou dans des marais d’eau stagnante ; 2°. que lorsque leur partie charnue est amollie, on les écrase entre deux cylindres, qu’on les lave à une eau courante et qu’on les bat pour diviser leurs fibres ; 3°. et qu’enfin on les peigne à plusieurs reprises, pour les amener au degré de finesse qu’on désire. Cet art, né dans un pays peu civilisé, et transporté chez des peuples qui ne sont pas manufacturiers, n’a pas fait les progrès dont il est susceptible.

Mais un des usages auquel l’agavé d’Amérique peut être employé avec succès, est dans la construction des clôtures de défense, pour entourer les biens ruraux. Cet usage est établi en Amérique, d’où il a été apporté en Europe, dans les pays où le terrain n’a pas une grande valeur. Dans l’Andalousie, à Malaga, à Naples et en Sicile, on en forme des haies ; dans le département des Pyrénées-Orientales, aux environs de Perpignan, on en borde les chemins et l’on en circonscrit les vignes. Les redoutables aiguillons qui terminent les feuilles de cette plante, et les épines dures et crochues dont elles sont bordées, opposent une défense que les animaux et même les hommes n’osent franchir. Ces clôtures sont plus sûres que des murs beaucoup plus élevés, et coûtent beaucoup moins à établir ; mais aussi elles occupent une plus grande quantité de terrain.

Dans les pays septentrionaux de la France et de l’Europe, on cultive l’agavé américain dans des vases de terre ou dans des caisses qu’on rentre pendant l’hiver dans l’orangerie. Les apothicaires des villes en ornent les appuis de leurs boutiques, pour indiquer plus particulièrement leur pharmacie ; ce sont, pour ainsi dire, leurs armes parlantes. Il existe une variété de cette espèce dont les feuilles sont liserées de jaune, en forme de ruban couleur d’or, qui est recherchée des amateurs de plantes étrangères. Enfin, pour terminer l’indication de tous les usages de cet agavé, il n’est pas rare de voir tracés sur ses feuilles les noms et les chiffres enlacés d’amans heureux, qui confient l’expression de leur bonheur à la garde de leurs épines redoutables. Ces signes grandissent avec le temps, et durent un siècle, tandis que, très-souvent, les amours de ceux qui les ont tracés diminuent et s’effacent en peu d’années.

Culture. Quoique l’agavé d’Amérique soit originaire de la zone torride, il peut éprouver trois ou quatre degrés de gelées sèches et passagères, sans en être affecté sensiblement. Nous en avons fait l’expérience plusieurs fois. Il croît de préférence dans les terrains secs, calcaires, pierreux, parmi les rochers, sur les coteaux, aux expositions les plus chaudes, et même à celles qui sont brûlées par le soleil. Du collet de sa racine, et souvent de ses extrémités, sort un grand nombre d’œilletons qui servent plus rapidement que ses graines à sa multiplication. Mais il est peu exact de dire, comme Bowles l’avance, qu’il suffit de planter en terre des bouts de feuilles pour propager cette plante. Il faut employer des feuilles entières, munies de la partie inférieure qui la joint à la tige, pour faire réussir cette voie de multiplication ; encore est-elle douteuse en usant de cette précaution. Le moyen le plus sûr et le plus prompt est de se servir des œilletons ou boutures, lorsqu’ils ont trois ou quatre feuilles, et qu’ils ont un