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les raisins, d’où ils ont reçu en plusieurs lieux le nom de vinette. La même nourriture doit leur être offerte, si on les renferme dans une volière ; et lorsqu’on ne leur épargne pas les fruits qu’ils aiment, ils y prennent en peu de temps une graisse si abondante, qu’elle leur donne quelquefois la mort. Il n’est pas inutile de remarquer que les vieux becfigues, soit qu’ils jouissent de la liberté, soit qu’on les tienne dans l’esclavage, s’engraissent mieux que les jeunes ; ils ne deviennent que médiocrement gras vers l’automne, s’ils sont nés dans l’année, tandis que leur embonpoint est excessif, si leur âge est plus avancé. Cette observation s’applique également à toutes les espèces d’oiseaux auxquelles la surabondance d’alimens fait acquérir beaucoup d’embonpoint, à la fin ne l’été.

Quoique les becfigues fréquentent, en Europe, les pays du Nord jusqu’à la Suède, le Midi est leur véritable patrie ; ils y sont en plus grande abondance, et ils y deviennent un petit objet de consommation et d’exportation. Ils sont, par exemple, tellement multipliés, aussi bien que les ortolans, dans l’île de Chypre, et on les y prend en si grande quantité, que les Grecs des campagnes ne les vendent que quatre sous la douzaine. Outre ceux que les habitans mangent frais, ils en préparent beaucoup plus, pour les conserver, en les mettant dans du vinaigre avec des épices, après leur avoir donne un premier bouillon et leur avoir retranche la tête et les pattes. Plus de quatre cents barils de deux cents et de quatre cents de ces oiseaux ainsi conservés sortent annuellement de l’île, et se transportent en différentes parties de l’Europe. Mais il s’en faut bien que les becfigues confits aient la même délicatesse et la même saveur que ceux qui se mangent un instant après leur mort ; ils ne laissent pas cependant d’être encore un bon mets, accommodés suivant la méthode des Cypriotes ; c’est à-dire, coupés par le milieu, et étendus sur le gril avec un peu de persil et une tranche de pain.

Plusieurs îles de l’Archipel grec, où abondent les becfigues, fournissent aussi au commerce des barils de ces oiseaux confits dans le vinaigre. On les prépare de la même manière en Provence, ainsi que dans les contrées voisines. Ce n’est même que sur ces points méridionaux de la France, que la chasse des becfigues présente quelque avantage ; la chaleur et la beauté du climat, les excellens fruits qui y parfument l’atmosphère, invitent ces oiseaux à s’y rassembler en grand nombre.

Chasse du becfigue. Des amateurs prétendent que, tué au fusil, cet oiseau a plus de délicatesse que pris de d’une autre manière. On le tue fréquemment ainsi en Provence, principalement aux environs de Marseille, où l’on prépare pour cela l’espèce de piège connu sous le nom d’arbret. Cet arbret est un petit arbre de quinze à vingt pieds de haut, que l’on plante au milieu des vignes, et au sommet d’un monticule naturel, ou artificiel, si le terrain n’en présente pas par lui-même. On choisit de préférence l’amandier pour servir d’arbret, parce que ses feuilles sont petites et couvrent moins les oiseaux. Au défaut d’un arbre vert et naturel, on pourroit planter, pour le moment de la chasse, un jeune arbre que l’on couperoit exprès ; mais, comme il est, en un instant, dépouillé de sa verdure, il invite moins les oiseaux à s’y percher. Le pourtour du petit tertre qui domine l’arbret est planté de jeunes pins et de quelques arbrisseaux, ce qui forme comme un petit bocage, et donne la facilité de cacher sous les branches des oiseaux vivans enfermés dans des cages, et dont le cri sert à appeler leurs pareils autour de l’arbret. À quelque distance, on pratique en terre un enfoncement de trois pieds environ, et recouvert tout autour d’un dôme de verdure. Des plantes vivantes et grimpantes, plantées au tour du trou et dirigées de ma-