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que les habitans des campagnes peuvent en retirer.

On peut abandonner les canards à eux-mêmes une partie de l’année ; avec ces oiseaux, il n’y a rien de perdu dans une ferme ; les criblures et balayures de greniers, les farineux fermentés et ceux sous forme de pain, les résidus des brasseries, des pouilleries et des amidonneries, les herbages, les racines potagères, les fruits, tout ce qui approche du charnage, sont fort de leur goût et concourent singulièrement à accélérer leur croissance, pourvu que les alimens qu’on leur donne soient un peu humides ; ils ont même attention, quand l’eau est à leur portée, de les y tremper : aussi aiment-ils de prédilection la pomme de terre, et l’a-t-on substituée dans quelques endroits, avec profit, au maïs et à l’orge. C’est à cause de cet attrait pour l’humidité qu’ils se plaisent dans les prairies et dans les pâturages.

La grosseur du canard varie infiniment ; il y en a qui, dans le cercle de huit à neuf semaines, pèsent jusqu’à sept à huit livres, tandis que d’autres du même âge et de la même espèce, n’acquièrent point la moitié de ce poids. Leur gloutonnerie fait qu’il n’est pas nécessaire de les chaponner pour les engraisser.

Quoique cet oiseau chérisse sa liberté au dessus de tout autre bien, et qu’on ait remarqué qu’il pouvoit aisément s’engraisser sans être renfermé, l’expérience a cependant prouvé qu’on y parvient plus tôt en le mettant sous une mue, en lui administrant une quantité suffisante de grains ou de son gras, et un peu d’eau pour humecter seulement son bec ; autrement il pourroit se noyer.

En Angleterre, on engraisse les canards au moyen de la drèche moulue et pétrie avec du lait de beurre ou de l’eau. Dans la Basse-Normandie, c’est avec de la farine de sarrasin, dont on fait des gobbes, avec lesquelles on les gorge deux à trois fois par jour, pendant une quinzaine ; au bout de ce temps, ils sont bons à vendre un prix qui paie au moins les frais, si on saisit le moment de s’en défaire à propos.

Dans le Languedoc, quand les canards sont déjà gras, ou les renferme par dix, dans un endroit obscur ; le matin et le soir, une servante leur croise les ailes, en les plaçant sur ses genoux, leur ouvre le bec avec la main gauche, et leur remplit, avec la droite, le jabot de maïs bouilli ; dans cette opération, il arrive que plusieurs meurent suffoqués ; mais ils n’en sont pas moins bons, pourvu qu’on ait la précaution de les saigner au moment qu’ils expirent ; ces malheureux animaux passent ainsi quinze jours dans un état d’oppression et d’étouffement qui leur fait grossir le foie, les tient toujours haletans et presque sans respiration, et leur donne enfin cette maladie appelée la cachexie hépatique. Quand la queue du canard fait l’éventail et ne se réunit plus, on connoît qu’il est assez gras, alors on le fait saigner et on le tue.

Le canard est un excellent manger, et le mets le plus ordinaire des gens aisés ; mais il faut qu’il soit jeune, et plutôt étouffé que saigné : à la vérité, il a alors la peau fort rouge, et les cultivateurs qui en élèvent pour les vendre sont forcés de les saigner avant de les exposer au marché, pour éviter le soupçon qu’ils sont morts naturellement.

On sale quelquefois les canards engraissés ; deux jours après les avoir tués, on les fend par la partie inférieure et on enlève les cuisses, les ailes et la chair qui recouvre le croupion et l’estomac ; on met le tout avec le cou, le bout du croupion et l’estomac dans un saloir, et on les laisse couverts pendant quinze jours, après quoi on les divise en quatre quartiers, ayant soin de les piquer de clous de girofle, et d’y jeter quelques épices.