Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/395

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ché. Pour s’en servir, on verse de ce mélange, autant que l’on croit en employer, dans un poêlon, et on le fait chauffer ; les bottes et souliers doivent également être chauffés, et sur-tout bien séchés, après quoi on les enduit de cette cire avec un pinceau qu’il est nécessaire d’avoir laissé tremper. On a soin d’en bien remplir les coutures.

Après cette courte digression, je reviens au hutteur, que nous avons laissé muni de tout son attirail. Sa chasse commence au mois de novembre, et finit au Carême : elle n’a lieu que la nuit, excepté toutefois pendant les premiers jours de la gelée ou du dégel. À ces deux époques, on peut hutter avec fruit pendant le jour, parce que les canards reçoivent de la température dominante le sentiment d’une agitation inquiète, qui ne leur permet pas de reposer. Le clair de lune n’est pas non plus un moment très-favorable, parce que le gibier distinguant mieux les objets, est plus méfiant et approche moins du piège où il est nécessaire de l’attirer. Mais, quand le chasseur a pris un temps convenable, il place sur l’eau ses formes d’oiseaux, attache plus près de lui ses appelants, qui sont retenus par la patte à un piquet enfoncé à fleur d’eau ; puis, enfermé dans sa hutte, il attend patiemment que les canards et autres oiseaux, attirés par ses appelants, viennent s’abattre sur la mare, où il les tire à la faveur des trous ou meurtrières pratiquées à cet effet à la cloison de sa cabane. Au défaut de hutte, et principalement de terrain propre à la construire, d’autres chasseurs se creusent des trous, le long des bords de la Somme, et, au moyen d’appelants attachés près d’eux, exercent sur les habitans de la rivière la même industrie que le hutteur sur ceux qui fréquentent sa mare.

J’ai déjà dit que l’habitude commune aux canards et autres oiseaux palmipèdes, de quitter la mer le soir pour y retourner le matin, pouvoit déterminer contre eux l’heure et la pratique d’un affût avantageux. Cet affût s’exerce spécialement et d’une manière remarquable le long des côtes de la Basse-Normandie, et particulièrement dans le canton appelé le Cotentin, où des marais situés à une ou deux lieues de la mer offrent aux canards l’asile qu’ils recherchent en quittant les grandes eaux. Dans ces marais se trouvent des mares d’un demi-arpent : à six ou huit pieds du bord, sur un massif, au milieu de roseaux et de jeunes plants de saule et d’osier, on construit une petite cabane recouverte en chaume, et si basse qu’un homme à genoux en touche le toit avec sa tête. C’est là qu’un chasseur, muni d’appelants qu’il arrête aux environs de sa cabane, et sur-tout de mâles de race sauvage, qu’il enferme avec lui, attend le passage des canards aux heures du matin et du soir. Dès qu’il entend ou apperçoit une bande de voyageurs, il donne la volée à l’un de ses mâles qui se joint à eux, et, aidé des cris des appelants femelles, les attire à la mare où le chasseur s’est posté. On assure que le canard privé qui fait pour son maître l’insidieux office de conducteur, a l’instinct de se séparer de la troupe qu’il a amenée au piège, et de se rapprocher de la cabane d’où doit pleuvoir sur les étrangers le plomb meurtrier. Je citerai, en traitant la dernière espèce de chasse, un autre exemple de cet instinct.

La rivière de l’Armance, qui prend sa source à Chaource en Champagne, donne aussi lieu, par la nature de ses eaux, à une chasse particulière au pays qu’elle arrose. Ses eaux, fraîches en été, sont chaudes en hiver ; elles se répandent en plusieurs endroits sur de vastes prairies très-unies et point entrecoupées de fossés ni de plantations. Lorsque ces prairies gèlent, elles forment un grand plateau de glaces, tandis que le courant même