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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/403

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chasse est infiniment productive ; mais je ne sache pas qu’elle soit exécutée autre part. Cependant, comme il doit y avoir beaucoup de localités où l’on pourroit en imiter les procédés avec une grande utilité pour le chasseur, cette considération me détermine à en consigner ici les détails.

L’étang dont il est question est bordé, à l’un de ses côtés, par un petit bois au centre duquel l’eau s’enfonce et forme une anse, et comme un petit port ombragé, calme et frais. De divers points de cette anse on a conduit en ligne courbe, jusqu’assez avant dans le bois, des canaux nommés cornes, qui, assez larges et profonds à leur embouchure, vont toujours en diminuant de largeur et de profondeur, et finissent par manquer d’eau, en se terminant à angle aigu ou en pointe. Chaque canal est recouvert, vers la moitié de sa longueur, de filets tendus en berceau, et qui vont aussi en s’abaissant jusqu’à la pointe ou extrémité de la corne, de manière à former une nasse profonde qui se ferme en poche. Au centre du bocage et des canaux est une petite habitation pour un garde appelé le canardier. Cet homme répand trois fois par jour, et à des heures fixes, le grain dont il nourrit une centaine de canards demi-privés, demi-sauvages, qui ne quittent jamais l’étang, et qui, au coup de sifflet du canardier, viennent s’abattre à grand vol sur l’anse et dans les canaux, ou ils trouvent leur nourriture, Ces mêmes hôtes, ainsi familiarisés, servent aussi à attirer sur l’étang des bandes énormes de canards sauvages, de garots, de rougets et autres oiseaux voyageurs qui, chaque année, ne manquent pas de s’y rendre dès le milieu d’octobre. Les sédentaires, que le canardier appelle traîtres, d’après le manège auquel ils sont exercés, en jouant avec les passagers, les attirent vers l’embouchure des cornes, et les amènent à s’enfoncer dans le bocage. Alors le garde, caché derrière des claies de roseaux qui suivent les contours des canaux, jette ça et là du grain, en avançant toujours vers le fond. Quand il voit sa proie suffisamment engagée sous les berceaux de filets, il passe par l’intervalle des claies disposées à cet effet, s’empare des embouchures des nasses, et force les arrivans, en les effrayant, à se précipiter dans le cul-de-sac, où il n’est pas rare d’en prendre jusqu’à soixante à la fois.

C’est encore à cette occasion que l’on a remarqué que les canards privés ont l’instinct de ne point se fourrer dans cette embuscade, ou du moins ils ne s’y prennent que très-rarement, et retournent d’habitude sur l’étang chercher des camarades aux prisonniers qu’ils ont laissés dans les filets.

Les filets dont se servent les habitans du Tonquin, pour prendre les bandes innombrables de canards qui couvrent leur pays bas et marécageux, sont de forme carrée et d’une grandeur proportionnée au besoin. Ils plantent, près de l’étang où les canards se rendent, deux pieux hauts d’environ dix à onze pieds ; ils attachent une corde à l’un des côtés du filet qui s’étend du bout d’un pieu jusqu’à l’autre d’où l’autre côté du filet pend abattu vers la terre ; en sorte que, le soir, lorsque les canards volent vers l’étang, il y en a plusieurs qui donnent dans ces filets et s’y prennent.

Je terminerai cet article par une observation utile aux fermiers : c’est que si les canards sauvages, considérés comme objet de consommation, leur offrent un avantage sensible dans les cantons où la chasse en peut être abondante, ils doivent aussi les intéresser sous le point de vue d’économie rurale, et comme moyen de reproduction. En effet, cette espèce, employée à croiser le canard domestique, donne des produits plus beaux et plus délicats, et, sous ce rapport, il est essen-