Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/408

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ferme, que le poisson a vécu dans une eau plus vive et plus courante ; mais c’est un mets de luxe, hors de la portée du commun des hommes, sur-tout quand la carpe a pris quelque grosseur. Les eaux qui fournissent, en France, les carpes les plus estimées, sont celles de la Seine, de la Saône, du Doubs, du Lot, etc., et principalement celles du Rhin. Il y a, près de Montreuil-en-mer, un étang d’eau douce et vive, dont les carpes ont beaucoup de réputation, et se vendent fort cher.

De quelque part que viennent les carpes, il faut qu’elles soient un peu grosses, pour être un très-bon mets ; les petites sont désagréables à manger, par la quantité d’arêtes dont leur chair est remplie ; elles ont encore peu de goût, lorsqu’elles sont maigres.

De toutes les parties de ces poissons, c’est la tête que les gourmets préfèrent, et ils y cherchent d’abord la langue et le palais, comme les morceaux les plus délicats. Ils ne mettent pas moins d’avidité à s’emparer de la laite ou laitance des mâles ; les œufs se mangent aussi avec plaisir. Dans quelques pays du Nord, on fait, avec ces œufs, du caviar que l’on vend aux juifs de Turquie, auxquels les lois religieuses interdisent le caviar fait avec des œufs d’esturgeon. Enfin, le fiel même des carpes n’est pas sans utilité ; il donne à la peinture un vert foncé. L’hiver est la saison pendant laquelle les carpes sont plus grasses et d’un meilleur goût.

pêche des carpes. Indépendamment de la pêche générale des étangs, qui met à la disposition des pêcheurs toutes les carpes qui y existent, on se sert, pour les pêcher dans les rivières, les lacs, et les étangs, de la Senne, du Tramail, du Colleret, de la Louve, et des Nasses, dans lesquelles on met un appât. Ces poissons ne se laissent pas prendre aisément, lorsqu’ils vivent dans de grandes eaux où ils ont l’habitude de faire un libre usage de toutes leurs facultés. Dès qu’ils aperçoivent le filet, ils s’enfoncent dans la boue et le laissent impunément passer au dessus d’eux ; d’autres fois, ils sautent par dessus, et échappent aux pêcheurs qui ne prennent pas la précaution employée par ceux de quelques petits lacs d’Allemagne, et qui consiste à disposer deux filets l’un derrière l’autre, de manière que la carpe, après avoir sauté au dessus du premier, retombe dans le second.

On prend aussi les carpes à la Ligne, (Voyez ce mot) près de laquelle on les attire, en jetant aux environs des fèves ou des pois cuits, ou quelque autre nourriture qui leur plaise ; l’hameçon s’amorce ordinairement avec un gros ver, un grillon, un bombix ou phalène du saule.

De quelque manière qu’on se propose de pêcher les carpes, il est bon de chercher à les rassembler. Pour y parvenir, on leur présente des appâts de fond, sur le sable, ou, si l’endroit est bourbeux, sur une table recouverte d’une couche de glaise de trois pouces d’épaisseur ; cette table, plongée dans l’eau, est retenue par une corde attachée sur le rivage, et on la retire pour s’assurer si les appâts ont été enlevés par les carpes, ou pour les renouveler. Les substances dont on se sert le plus ordinairement pour les appâts de fond, et peut-être les meilleures, sont de grosses fèves cuites à demi ; quelques uns recommandent de les faire tremper d’abord pendant cinq ou six heures dans de l’eau un peu tiède, de les faire bouillir ensuite, en y ajoutant du miel, et deux ou trois grains de musc ; enfin, de les laisser cuire à demi.

Les braconniers, car la pêche a aussi les siens, attirent le poisson ou l’endorment avec différentes substances que je me garderai bien d’indiquer. Tout ce qui peut tendre à la conservation des dons que la nature nous a prodigués, les ménagemens qu’ils exigent pour ne pas en priver nos descendans, les moyens de