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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 11.djvu/554

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bre. Une des sœurs de l’enfant, de retour à la maison paternelle, entend pousser d’horribles cris à la petite fille ; elle lui voit tout le visage ensanglanté, et auprès d’elle le cruel animal qui dévoroit les morceaux de sa chair. En effet, l’innocente créature avoit déjà un œil arraché, l’autre très-mal traité, la langue dévorée jusqu’au gosier, les lèvres déchirées, etc. etc.

Dans l’état de sauvage ou en domesticité, le corbeau a l’habitude de faire des provisions et de cacher ce qu’il peut attraper, sur-tout les pièces d’argent et tout ce qui brille ; il met à ce manège beaucoup de patience et d’adresse. M. Vieillot, savant ornithologiste et observateur très-judicieux, raconte, dans le Nouveau Dictionnaire d’Histoire Naturelle, qu’un corbeau élevé chez lui avoit porté une à une, et caché sous une pierre, quantité de petites monnoies ; il avoit de même caché dans sa loge, et recouvert avec de la paille et des bûchettes, cinquante œufs qu’il avoit pris fort adroitement l’un après l’autre et sans en casser un seul, dans un panier à haut bord ; enfin il découvrit plusieurs fois le pot-au-feu sans endommager le couvercle ; et quoique l’eau du pot fût bouillante, il parvint à en tirer la viande et les légumes, et à les emporter dans sa cachette : si on ne l’eût veillé de près, il n’auroit que trop souvent répété ce petit manège.

Cet oiseau, vrai sépulcre ambulant, exhale l’infection ; sa chair, toujours dure et coriace, inspire le dégoût, et la faim seule peut la faire trouver supportable à manger, quand l’oiseau a été nourri de fruits et de grains. Sa dépouille n’est pas inutile ; les dessinateurs paient plus cher les grandes plumes de ses ailes que les plus belles que l’oie fournit ; et ces mêmes plumes sont employées par les luthiers, pour emplumer les sautereaux des clavecins et des pianos.

La Corbine ou Corneille Noire (corvus corone Lin.) se distingueroit difficilement du corbeau, si elle n’étoit plus petite. Quelques habitudes qui lui sont particulières servent aussi à ne pas la confondre avec une espèce dont elle est, en général, très-rapprochée.

Cette corneille passe l’été dans les grandes forêts ; elle n’en sort que pour aller chercher sa nourriture, et pendant l’hiver. C’est un oiseau nuisible au gibier, et même au cultivateur ; il est très-friand d’œufs de perdrix, et tue aussi les perdrix en temps de neige ; il dévaste les noyers dont il recherche les fruits avec avidité. Cependant ses goûts destructeurs ne se portent pas toujours vers des objets utiles ; il rend aussi quelques services à l’agriculture, en suivant la charrue et dévorant les grosses larves d’insectes que le soc met à découvert.

Les corbines vont en troupes qui se mêlent souvent à celles des freux et des corneilles mantelées ; le soir, elles se rassemblent, paroissent s’être fixées un rendez-vous, et vont passer la nuit dans les bois, au haut des plus grands arbres. Elles pondent cinq à six œufs tachetés de brun, sur un fond vert bleuâtre. L’on m’a assuré que, tant que les petits sont dans le nid, ils sont très-bons à manger, et aussi délicats que les poulets, parce qu’alors les père et mère ne les nourrissent que de fruits, de grains, de vers, et de menu gibier ; mais je n’ai pas été tenté de faire l’essai de ce mets. J’ai vu les pêcheurs de l’Archipel grec, amorcer leurs lignes avec la chair des corbines, coupée par morceaux.

Le corbeau et la corbine ne sont point des oiseaux voyageurs ; ils restent constamment dans nos pays et dans les mêmes cantons ; ils changent seulement de séjour en été et en hiver. Il n’en est pas de même (de la Corneille mantelée (corvus cornix Lin.) qui ne paroît dans nos climats que dans la froide saison.