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points de contact aux écorces réciproques, et d’assurer la reprise. On écarte ensuite avec la pointe du greffoir la fente perpendiculaire faite au sujet, et l’on y fait entrer la portion de la greffe qui forme le coin pratiqué par la fente inverse qui lui a été faite. Il faut ajuster, avec beaucoup de soin, la greffe sur le sujet pour que toutes les parties soient exactement en rapport. On ligature à la manière ordinaire, et on forme une petite poupée.

Cette greffe, offrant une plus grande quantité de points de contact, est plus sûre ; elle est aussi plus solidement établie et moins sujette à être décollée, parce que son bois se trouve emboîté dans celui du sujet. Elle produit aussi des tiges de plus belle venue que celles que donnent ordinairement les autres greffes en fente, puisque le sujet et la greffe sont de même grosseur, et placés dans la même direction.

Sous tous les rapports, cette greffe mérite d’être pratiquée. Plusieurs espèces de chênes d’Amérique, de châtaigniers, de hêtres, de charmes, etc. ne réussissent que par son moyen.

La greffe en fente à couronne à oranger paroît être une invention moderne, et avoir été faite par un jardinier de Pontoise, près Paris. Il s’en servit utilement pour sa fortune, en greffant des orangers de deux ans de semis, qui se couvroient de fleurs l’année même dans laquelle il les greffoit.

Pour cela, on choisit sur un oranger un rameau fait, garni de ses ramilles marquant des fleurs, et de grosseur semblable à celle du sujet ; on fait une entaille au sujet sur l’un des côtés de sa partie supérieure, dans la longueur d’un pouce environ, et au tiers de l’épaisseur de sa tige. On fait une pareille entaille au rameau à greffer dans sa partie inférieure, et en sens contraire au sujet. On présente les deux parties l’une sur l’autre, pour s’assurer qu’elles s’emboîtent exactement, diminuer l’excédant de bois qui pourroit se trouver à l’une ou l’autre des parties, et empêcher que les écorces ne coïncident tant par le bas que par le haut et sur les côtés. Assuré que toutes les parties se joignent bien ensemble, il faut les accoller, les ligaturer avec de la filasse trempée dans de l’onguent de St-Fiacre, et faire une poupée oblongue qui recouvre la plaie un pouce au dessus et au dessous ; placer les sujets sous un châssis ou une bâche, à une température de vingt degrés d’une chaleur humide, et les défendre pendant six à huit jours des rayons du soleil.

Cette opération se fait à la fin du printemps sur des sujets abondans en sève. Ordinairement les feuilles de ces greffes ne fanent que médiocrement, et pendant les premiers jours de leur pose. Elles reprennent en deux ou trois jours, mais ne sont consolidées qu’au bout de huit ou dix mois. On laisse la poupée pendant une année. Les boutons de fleurs des rameaux épanouissent et donnent du fruit qui parvient à maturité.

Ces sortes de greffes ne durent pas longtemps ; les raisons en sont faciles à concevoir. 1°. Le tissu fibreux du sujet et de la greffe, quoique de même nature, offre une grande différence dans leur densité. Dans le sujet il est lâche, dans la greffe il est serré et compacte. 2°. Le sujet ne peut fournir la quantité de sève nécessaire à l’entretien d’un rameau chargé de feuilles permanentes, qui produit beaucoup de fleurs, et, enfin, au grossissement des fruits.

Si on choisissoit un rameau sans brindilles, peu garni de feuilles, et qu’on ne lui laissât porter ni fleurs ni fruits, il n’y auroit pas de raison pour que la greffe qu’on en feroit ne durât autant que les autres espèces.

La greffe en fente et par juxtaposition se pratique de la même manière que la greffe en fente ordinaire ; mais, au lieu d’une seule languette qu’on introduit dans la fente, on laisse une partie latérale revêtue de son écorce, et on la joint immédiatement à l’écorce du sujet, coupée obliquement. De cette manière, la sève a une voie de plus pour pénétrer dans la greffe, et y monte d’autant plus sûrement, que les deux écorces se coïncident parfaitement au sommet de l’angle que forment les deux languettes. Le succès de cette greffe est pour ainsi dire certain. À peine sur cent arbres greffés ainsi avec soin, en manque-t-il cinq ou six.

Greffes en écusson. Dans les grandes pépinières où l’on greffe, par saison, vingt à trente milliers d’arbres en écusson, quatre personnes concourent à la confection d’une greffe. La première prépare le sujet (c’est-à-dire qu’elle coupe les petits rameaux qui se trouvent dans le voisinage du lieu où doit être placée la greffe. La seconde fait les incisions qui doivent recevoir les écussons ; La troisième lève les yeux de dessus les rameaux à greffe, et les pose sur le sauvageon. La quatrième et dernière fait les ligatures. Au moyen de cette marche bien entendue, il est possible de greffer plus de douze cents arbres dans une journée, et de ne pas se laisser surprendre par la retraite de la sève ; ce qui arrive souvent.