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pointe du greffoir ; on coupe tout le bois qui pourroit se trouver dans la longueur de l’écorce qui forme l’écusson, et on n’en laisse qu’une couche infiniment légère sous l’œil seulement. Il faut bien prendre garde, en faisant cette opération délicate, de ne pas éborgner l’œil, c’est-à-dire, de ne pas enlever le corculum, où réside la vie du nouveau bourgeon.

Il est bien certain que, moins on peut laisser de bois, ou, pour parler plus exactement, d’aubier sous un écusson, plus sa réussite est assurée. Le bois établit un corps intermédiaire, entre l’aubier du sujet, et l’écorce de la greffe, qui empêche le cambium qui suinte par les canaux médullaires du sauvageon de pénétrer les pores de l’écusson, et de le souder intimement avec le sujet. Cependant il est beaucoup d’espèces d’arbres, sur-tout parmi les fruitiers, lorsque les sujets sont bien en sève, à la réussite desquels un peu de bois ne nuit pas, parce que la sève étant très-abondante, il se trouve une assez grande quantité de points de contact pour opérer la soudure ; mais il n’en est pas moins vrai que cette union est moins solide que si l’écorce de l’écusson touchoit dans presque toutes les parties à l’aubier du sujet. La grande quantité de ruptures des bourgeons des greffes, qui a lieu chaque année dans les pépinières, ne proviendroit-elle pas de cette cause ?

De In greffe en écusson à la pousse. Cette sorte d’écusson se fait au printemps lorsque les arbres entrent en sève, et commencent à gonfler leurs boutons ; elle se pratique comme toutes les autres greffes de la même série, mais avec cette différence, qu’au lieu de laisser la tête du sujet, on la lui coupe immédiatement après que l’écusson est posé. Il en résulte que son œil pousse sur-le-champ, et que son bourgeon a plusieurs pieds de long à la fin de la saison. Les greffes destinées à cette sorte d’écusson doivent être cueillies quatre à cinq jours avant que de les poser ; on les lie par petites bottes qu’on enterre de trois ou quatre pouces par le gros bout, dans une plate-bande fraîche et au nord ; il en résulte que ces greffes, étant moins avancées en sève que les sujets, s’y attachent plus promptement, et sont plus sûres à la reprise.

Si l’on gagne du temps par ce procédé, on perd d’un autre côté des sauvageons, ou au moins ils perdent de leur mérite. Lorsque les greffes ne sont point reprises, on est obligé de rabattre la tige du sujet au dessous de l’endroit où l’on a fait les incisions, ce qui diminue son mérite d’une part, et d’une autre, comme on l’a étêté en pleine sève, et qu’on a supprimé tous les bourgeons qui se disposaient à pousser au dessous du point où l’on avoit mis la greffe, il en résulte que ce sujet a perdu sa première sève. De plus encore, que, n’ayant pas eu de feuilles qui aient tiré de l’atmosphère les gaz et autres fluides nécessaires à son existence et à celles de ses racines, il est dans un état de langueur et de souffrance dont il ne peut se rétablir que pendant la fin de l’année. Ainsi on ne peut le greffer avec sûreté que l’année suivante ; ce motif est la raison pour laquelle on préfère, dans les grandes pépinières d’arbres fruitiers, la méthode de greffer à œil dormant. Cette raison économique ne doit point déterminer les particuliers qui ne sont point marchands, et qui peuvent faire le sacrifice de quelques sauvageons ; une année d’une jouissance plus hâtive doit être pour eux le motif déterminant

De la greffe à écusson à œil dormant. Cette greffe est celle qui est la plus généralement pratiquée dans les grandes cultures d’arbres, et particulièrement dans les pépinières de Vitry, de Lucienne et des environs de Versailles ; elle est la moins coûteuse, la plus expéditive et la plus sûre, pour une très-grande partie de végétaux ligneux, de toutes celles qui sont pratiquées à présent.

Cette greffe s’effectue à la seconde sève avec des yeux de la pousse du printemps précédent, pris à l’instant ou peu de jours avant de les lever et de les mettre en place. La manière de l’opérer est celle que nous avons décrite avec étendue, à l’article des greffes en écusson en général. Toute la différence qui distingue cette variété, c’est qu’au lieu de couper la tête du sujet, pour faire pousser l’œil de la greffe sur-le-champ, on la laisse jusqu’au printemps suivant : pendant cet intervalle, l’œil de la greffe reste dans l’inaction, et semble dormir comme s’il n’avoit pas échangé de rameau. Au printemps, lorsque la sève se met en mouvement, on coupe la tête aux sujets dont la greffe est bonne, on supprime à rez de la tige toutes les branches qui ont crû au dessous de la greffe. On ne laisse, par ce moyen, pour seul canal à la sève des individus, que l’œil de l’écusson. Elle s’y porte sans partage et donne naissance à des bourgeons qui s’élèvent souvent à plus de cinq pieds de haut. Si l’on eût coupé la tête à ces greffes peu de jours après qu’elles ont été opérées, comme le font quelques cultivateurs, ces greffes n’eussent pas manqué de pousser dès le commencement de l’automne. Mais pour peu que l’hiver eût été