Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/256

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La farine de marrons d’Inde, en supposant qu’elle soit dépouillée de la totalité de son amertume par ces opérations, ce qui n’est pas facile, attendu que le parenchyme la conserve opiniâtrement, entre pour un tiers dans la composition du pain, suivant le procédé de Baumé, et les deux autres tiers consistent en levain et en farine de froment. Ce procédé n’offre donc rien de particulier ; on ne sauroit le comparer à celui qui s’exécute sans mélange de farine de froment, et qui suppose toujours une circonstance où l’on se trouveroit dénué de tous moyens de subsistance.

Nous ne nous permettrons aucune réflexion sur l’embarras et les dépenses qu’occasionneroit l’exécution du premier moyen ; M. Baumé est trop éclairé, pour ne pas l’avoir senti lui-même : aussi n’a-t-il employé l’alcool que comme un agent capable de lui faire mieux connoître la véritable nature des substances qui constituent les marrons d’Inde. D’ailleurs, il conviendra avec nous que quand bien même les opérations d’écorcer, de râper, de broyer, de délayer à grande eau, de décanter, d’exprimer, de sécher et de tamiser, n’exigeroient pas autant de soins, elles deviendroient impraticables une partie de l’année, attendu que, dans la saison chaude, une matière farineuse, étendue dans beaucoup d’eau, et y séjournant trois jours au moins, doit viser à l’aigreur, et même à la putrescence, sur-tout lorsque, comme ce fruit, elle renferme le ferment le plus actif, je veux dire une matière végéto-animale, analogue à celle du froment.

De pareils procédés, pour dépouiller de son amertume la substance farineuse du marron d’Inde, sont faciles entre des mains habiles, et dans les laboratoires, où l’on ne calcule pas toujours assez les embarras et les frais de leur exécution ; mais quand il s’agit de les livrer à l’économie domestique, tous les avantages qu’on s’en promettoit disparoissent. Ainsi, après avoir payé aux efforts de Baumé le juste tribut de gratitude qu’il mérite, pour s’être occupé d’un travail qui ne pouvoit avoir d’autre objet que l’utilité publique, j’ajouterai que, si on ne vient point à bout de trouver l’emploi de ce fruit, sans être contraint de le monder de son écorce, de le mettre à macérer dans l’eau pour le réduire encore à la moitié de son poids, il est bien à craindre que l’on ne dédaigne d’y avoir recours, et que ce nouveau moyen d’accroître nos ressources soit illusoire ; car, il faut en convenir, les moyens indiqués sont trop minutieux, consomment trop de temps, et donnent trop peu de produit, pour qu’il soit permis à ceux qui auroient la plus grande envie d’en tirer parti de se livrer à un pareil travail, à moins cependant que des circonstances désastreuses ne forçassent de tourner les regards vers ce supplément de nourriture : alors il faut bien tout mettre à profit, quels que soient les obstacles, pour remplacer les alimens ordinaires.

Cependant, si les temps d’abondance ne semblent pas les plus favorables pour déterminer l’emploi de quelques précautions contre les suites funestes de la famine, ils ont au moins sur les temps de disette l’avantage de faciliter à ceux qui s’en occupent le loisir et la tranquillité d’esprit nécessaires pour les créer. L’homme, aux prises avec le besoin, n’est capable d’aucune recherche heureuse. Si, lorsque les subsistances étoient en proportion des besoins, on n’eût pas cherché à familiariser le pauvre avec l’usage des pommes de terre, quel succès auroit obtenu la bienfaisance qui, dans ces jours désastreux, n’avoit que cette ressource à lui offrir ? N’attendons jamais à sentir le prix de ce qui manque, quand il est impossible de se le procurer.

Reflexions sur l’utilité des marrons d’Inde. La proposition de Francheville,