Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/257

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d’ôter aux marrons d’Inde leur amertume ordinaire, au moyen de la greffe, n’a pas laissé que d’être accueillie ; mais je crois avoir démontré l’impossibilité d’une pareille métamorphose, dans ma Correspondance agricole avec Cabanis, qui, retiré à la campagne, remplissoit tous ses momens par l’étude si intéressante de la végétation. Cet estimable cultivateur, dont les recherches, les expériences et le succès sur la greffe, l’avoient mis à portée de connoître jusqu’où s’étend le pouvoir de cette opération merveilleuse, s’exprimoit ainsi dans une réponse qu’il fit à une de mes lettres sur le châtaignier :

« D’après cette lecture, vous verrez que M. de Francheville a fait un beau rêve, sur l’association ou mariage des arbres d’espèces différentes, ou sur la transmutation de la même espèce. Ce rêve, prétendu scientifique, que vous honorez, Monsieur, du nom de découverte, ne m’en impose point, malgré le ton d’assurance avec lequel on l’annonce. Le marronnier d’Inde, greffé sur lui-même dix fois l’une après l’autre, ne donnera que des marrons d’Inde, et le marron de Lyon, greffé sur le marronnier d’Inde, ou n’y reprendra point, ou sera de courte durée.

» Les greffes bisarres et fantasques dont Virgile a égayé et orné ses Géorgiques, ne se sont jamais réalisées. L’imagination va loin, mais la réussite n’est pas toujours à sa bienséance. L’opération de la greffe ne fait des miracles que dans l’ordre de la nature ; celle-ci a des bornes inviolables, si je puis m’exprimer ainsi ; les tentatives économiques et agronomiques sont toujours louables ; mais il ne l’est pas moins de s’en désister sur de bons motifs, et sur les preuves qu’on appelle négatives. Je nomme toutes les greffes où la discordance des sèves et le défaut d’analogie empêchent le succès ou le restreignent à une très-courte durée, des unions ou mariages par mésalliances ou désalliances. »

Il faut l’avouer, la découverte de l’existence de l’amidon dans les marrons d’Inde, en supposant qu’il réunisse toutes les conditions propres à remplacer celui du froment ou d’orge dans tous les emplois qu’on en fait, cette découverte ne seroit rien en comparaison de celle de Francheville, puisque, si elle peu voit se réaliser, la totalité de ce fruit serviroit à la nourriture, sans autre préparation que la cuisson..

Quand on réfléchit à cette opération si importante de la nature, à cet art ingénieux qui nous a valu tant d’espèces de fruits inconnus, avant que le jardinage devînt l’occupation et l’amusement des botanistes et des physiciens, on a droit d’être étonné, formalisé même, que, si ce n’est pas le hasard qui a déterminé l’opération de la greffe, la reconnaissance n’ait pas transmis à la postérité le nom du mortel fortuné qui en a fait la première tentative, et le temps, le lieu où elle a été mise en pratique. On sait à peu près l’époque où le pêcher a été apporté de Perse ; l’abricotier, d’Amérique ; le cerisier, de Cérasonte ; le coignassier, de la Grèce ; l’amandier, de Perse, et le figuier, d’Asie ; mais nous ignorons le nom du premier greffeur, de ce père de la nouvelle alliance dans le règne végétal : on auroit dû lui ériger une statue, avec cette inscription : À celui qui a saisi l’un des plus beaux secrets de la nature.

En terminant ces réflexions, j’observerai que, quoique le bois du marronnier d’Inde soit fort tendre, spongieux, peu propre au chauffage, et s’altérant aisément, quand il est exposé à l’humidité, ce qui l’a relégué jusqu’à présent chez les layetiers, les sculpteurs et les tourneurs, des expériences modernes ont prouvé cependant qu’il étoit possible d’en faire des voliges, des chevrons, et, qu’étant susceptible de prendre un beau