Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/303

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puissant qu’elle ne l’eût fait à toute autre époque. Elle conduisit les hommes à faire plus attention aux mots qu’aux choses : on découvrit que la langue du moyen âge avait était corrompue et l’objectif de tous les écrivains fut de purifier leur style. À cette recherche des mots, on ajouta celle de la forme ; elles furent, toutes les deux, considérées comme de première importance ; la moitié de l’intelligence du temps fut absorbée par l’étude inférieure de la grammaire, de la logique et de la rhétorique, études indignes d’un sérieux travail[1], car elles rendent ceux qui s’y emploient incapables de hautes pensées et de nobles émotions.

Pour avoir la preuve de la tendance abaissante de la philologie, il suffit de lire les annotations d’un grammairien sur un grand poète. La philologie est à peu près aussi utile à ceux qui l’ignorent que le serait, pour un homme qui ne peut marcher, une machine poussant alternativement un pied devant l’autre. Quant à la rhétorique c’est une étude réservée à ceux qui veulent tromper ou être trompés : celui qui a la vérité dans son âme ne doit pas craindre, pour sa bouche, le manque de persuasion ; s’il le redoute, c’est que la basse rhétorique empêche la vérité d'être comprise.


Ces sciences eurent un effet fatal pour la religion : on constata que l’enseignement du Christ manquait de rhétorique ; que les prédications de saint Paul man-

  1. Le lecteur a peut-être besoin de reprendre haleine! Tout cela, pourtant, est vrai (ou à peu près) quoique un peu trop expansif. La logique et la rhétorique sont d’excellentes études pour les sots et les hypocrites. Tous les esprits bien équilibrés pratiquent le raisonnement aussi facilement que la marche ; toutes les lèvres saines parlent pour l’amour de la vérité et non de l’émotion. Néanmoins, à un certain moment de la vie, la grammaire peut être une étude utile et même une amusante distraction; mais que vous disiez : « deux et deux font quatre » ou « deux et deux fait quatre » ; peu importe, aucune recherche grammaticale ne pourra faire dire honnêtement que deux et deux font cinq !