Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/146

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bafoue et qu’on raille, « se tient seul, en ce point, plus qu’en aucun autre, dans l’art d’observer la nature ». Pourquoi ces seize pages sur l’embranchement des arbres ? Parce qu’il faut venger des interprétations de Claude Lorrain, la beauté sans égale des branches que les ramifications du peintre classique expriment comme un portemanteau exprimerait les épaules humaines, « et s’il peut être allégué qu’une telle œuvre est néanmoins suffisante pour donner une« idée» d’un arbre, on répondra qu’elle n’a jamais donné ni ne donnera jamais l’idée d’un arbre à quiconque aime les arbres ! » La description ainsi comprise n’a plus rien d’artificiel ni de déclamatoire. Ce n’est plus un jeu de l’esprit : il serait souvent plus vrai de dire que c’est une peine du cœur. Lisez plutôt la préface de la Reine de l’air, écrite à Vevey, devant la fumée des fabriques et des bateaux à vapeur :


Ce premier jour de mai 1869, je me retrouve écrivant là où mon œuvre fut commencée il y a trente-cinq ans, en vue des neiges des Alpes supérieures. Dans cette moitié de ce qui est la durée de vie permise à l’homme, j’ai vu d’étranges calamités fondre sur tous les spectacles que j’ai le mieux aimés et tâché de faire aimer aux autres. La lumière qui, jadis, réchauffait ces pâles sommets de ses roses à l’aurore et de sa pourpre au couchant est maintenant affaiblie et obscurcie ; l’air qui, jadis, enduisait d’azur les crevasses de leurs rochers dorés est maintenant souillé par les lourds volutes