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Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/147

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de fumée vomie par du feu pire que celui des volcans ; les ondulations mêmes de leurs glaciers diminuent et leurs neiges s’évanouissent, comme si l’enfer avait soufflé dessus ; les eaux qui, jadis, s’enfonçaient à leur pied en un repos de cristal sont maintenant ternies et souillées de nappe en nappe et de rive en rive. Ce que je dis là n’est point dit au hasard — c’est rigoureusement — horriblement vrai ! Je sais ce qu’étaient les lacs de Suisse ; aucune vasque de fontaine alpine à sa source n’était plus limpide. Ce matin, sur le lac de Genève, à un demi-mille du bord, je pouvais à peine voir le plat de ma rame, à deux mètres de profondeur.

La lumière, l’air, les eaux, sont tous souillés ! Qu’est-il advenu de la terre elle-même ? Prenez ce seul fait pour exemple de l’honneur rendu par le Suisse moderne à la terre du pays où il est né. Autrefois il y avait un petit rocher au bout de l’avenue, près le port de Neuchâtel ; c’était là le dernier marbre du pied du Jura, descendant dans l’eau bleue, et (à ce moment de l’année) couvert de brillantes touffes roses de saponaires. Je suis allé, il y a trois jours, cueillir une fleur à cette place. L’excellent rocher naturel et ses fleurs étaient couverts par la poussière et les détritus de la ville ; mais, au milieu de l’avenue, était une rocaille artificielle, nouvellement construite, avec une fontaine obligée à jaillir en un filet d’eau, et une inscription sur une de ses pierres rapportées :

Aux botanistes
Le club jurassique.

Ah ! maîtres de la science moderne, rendez-moi mon Athéné, faites-la sortir de vos fioles et enfermez-y sous scellés, s’il se peut, une fois encore Asmodée ! Vous avez divisé les éléments et vous les avez unis ; vous les