misères des humbles, mais il n’y a pas eu sans cesse, dans les hautes classes de la société, cette obsession de la fraternité pour les plus humbles, et toutes les journées qu’a vécues l’humanité n’ont pas été attristées ou enchantées par l’attente fiévreuse d’un « grand soir ». Ruskin combat donc son siècle, comme le nourrisson dont parle La Bruyère bat sa nourrice, tout dru de la force que son lait lui a donnée, et les paroles mômes qu’il prononce portent le reflet de tout ce qu’il a maudit.
Nous avons entendu d’abord ses paroles d’analyste et elles nous ont fait souvenir de ce mot de Mazzini : « Ruskin est le plus puissant esprit analytique en ce moment en Europe ». Il a porté l’investigation scientifique au cœur même de la poésie, — désarticulant les mots pour examiner leur mécanisme et les raisons de leurs images ou de leur chant, mettant en figures géométriques les moutonnements des nuages, afin de se rendre compte de leurs perspectives et de leurs systèmes d’ombres portées, faisant la géologie des montagnes de Turner, la botanique des arbres de Claude Lorrain, la psychologie des anges de della Robbia, l’aviation des oiseaux de Pollajuolo ou de Ghiberti, la pathologie de la tête sculptée de Santa Maria Formosa, la dynamique des bas-reliefs de Jean de Pise, fouillant dans toutes les sciences pour y trou-